La rupture conventionnelle et les litiges préexistants.

Par Michel Ribas.

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Explorer : # rupture conventionnelle # litiges préexistants # pouvoir disciplinaire # pression employeur

Cinq ans après l’introduction dans les relations de travail de la rupture conventionnelle, le contentieux afférent à celle-ci s’est étoffé.
Il s’est avéré que le climat serein qui devait prévaloir dans cette procédure pouvait en réalité être affecté par des litiges préexistants.

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I) Les litiges relatifs à l’exécution du contrat de travail

A) Les différends portant sur la rémunération

Les discussions relatives à la signature d’un avenant sur le salaire ne caractérisent pas une situation conflictuelle qui aurait perduré à la date de l’entretien préalable à la rupture conventionnelle et susceptible d’entraîner l’annulation de celle-ci. [1]
En revanche, un litige portant sur des salaires impayés ne permet pas la conclusion d’une rupture conventionnelle. [2]
De même, un contentieux en cours devant le conseil des prud’hommes relatif au règlement des heures supplémentaires rend nulle la convention de rupture. [3]
Inversement, un litige portant sur des heures de délégation impayées, tranché définitivement par une Cour d’appel deux mois avant la signature de la convention de rupture, ne peut remettre en cause celle-ci. [4]

B) Le refus d’une modification du contrat de travail

La modification du contrat de travail, par l’adjonction de nouvelles fonctions, refusée par la salariée, ne rend pas nulle la rupture conventionnelle conclue peu après. La Cour de cassation estime que " l’existence d’un différend entre les parties au contrat de travail n’affecte pas par elle-même la validité de la convention de rupture " Les magistrats ajoutent qu’en l’espèce " aucune pression ou contrainte n’avait été exercée sur la salariée pour l’inciter à choisir la voie de la rupture conventionnelle " [5]

II) Le déclenchement d’une procédure, antérieur à la rupture conventionnelle

Dans cette affaire, l’employeur avait adressé à un salarié une lettre de convocation à un entretien préalable à un éventuel licenciement. Lors de cet entretien auquel assistait un conseiller du salarié, le chef d’entreprise avait finalement proposé une rupture conventionnelle.
Les juges d’appel ont estimé que l’employeur, qui a entamé une procédure de licenciement d’un salarié auquel il reproche des griefs sérieux, ne peut "rétropédaler" pour signer avec lui une rupture conventionnelle sous peine de voir celle-ci requalifiée en un licenciement sans cause réelle et sérieuse. [6]

III) L’exercice du pouvoir disciplinaire de l’employeur

A) L’absence de situation conflictuelle

Dans une affaire, le salarié avait conclu une rupture conventionnelle moins de trois mois après avoir reçu un avertissement. La Cour d’appel, saisie d’un recours en annulation de la convention de rupture, a estimé que "cet avertissement dont les motifs ne sont pas remis en cause, ne peut être considéré comme caractérisant un conflit". Les juges ont ajouté que " par cet avertissement, l’employeur n’a fait qu’exercer son pouvoir disciplinaire et qu’aucun des faits invoqués par le salarié ne constitue un conflit qui a pu le déterminer ou le contraindre à conclure la rupture conventionnelle" [7]

Dans le même sens, un salarié d’une brasserie avait fait l’objet de deux avertissements en raison d’un comportement discourtois à l’égard de la clientèle et de commandes mal enregistrées. Le second avertissement avait été notifié deux mois avant la rupture conventionnelle.
La Cour d’appel, saisie d’une demande en nullité de cette dernière, a précisé, pour rejeter la requête du salarié, que celui-ci n’ayant pas remis en cause les faits justifiant les avertissements d’une part et que d’autre part l’employeur n’ayant jamais manifesté l’intention d’engager une procédure de licenciement avant la signature de la convention de rupture, il en résultait que le chef d’entreprise usant de son pouvoir disciplinaire n’avait pas susciter de différend de nature à rendre non valable la rupture conventionnelle [8]

B) L’existence d’un conflit

Dans ce dossier, la convention de rupture avait été annulée par le conseil des prud’hommes et la Cour d’appel, suite à la convocation du salarié à deux reprises pour la notification de deux avertissements relatif à un travail de mauvaise qualité. L’employeur avait maladroitement évoqué dans une lettre adressée au salarié afin de conclure une rupture conventionnelle qu’ " un licenciement amiable lui est proposé" [9]

IV) L’exercice de pressions de l’employeur sur le salarié

A) La menace d’un licenciement

Un employeur ne peut conclure une rupture conventionnelle avec un salarié à qui il a indiqué dès le premier entretien qu’il entendait en tout état de cause rompre le contrat de travail. Ce chef d’entreprise avait adressé à son employé une lettre invoquant la menace d’un licenciement [10]
Dans une autre affaire, un cabinet d’avocat avait conclu avec une avocate salariée une rupture conventionnelle. Cette collaboratrice, spécialisée en droit social (ce dont son employeur aurait du se méfier) a intenté un recours en annulation de cette convention de rupture en invoquant un important litige antérieur.
La Cour d’appel lui a donné raison ainsi que la Cour de cassation qui a estimé que " si l’existence, au moment de sa conclusion, d’un différend entre les parties au contrat de travail n’affecte pas par elle-même la validité de la convention de rupture(...) la rupture conventionnelle ne peut être imposée par l’une ou l’autre des parties". Les hauts magistrats concluent qu’ " après avoir relevé que l’employeur avait menacé la salariée de voir ternir la poursuite de son parcours professionnel en raison des erreurs et manquements de sa part justifiant un licenciement et l’avait incitée, par une pression, à choisir la voie de la rupture conventionnelle, la Cour d’appel (...) a fait ressortir que le consentement de la salariée avait été vicié" [11]

B) Le climat de harcèlement moral

Un employeur avait fait signer à une salariée, dès son retour d’un arrêt maladie de 4 mois pour dépression, une rupture conventionnelle.
Quelques jours avant cette signature, un certificat médical avait été établi mentionnant chez l’intéressée " une estime de soi fortement atteinte et des sentiments de doute, d’humiliation et d’angoisse encore très présents"
La Cour d’appel, saisie d’un recours contre la validité de cette convention de rupture avait annulée celle-ci, mettant en évidence des faits de harcèlement moral qui caractérisaient une situation de violence morale incompatible avec la signature d’une rupture conventionnelle [12]
La Cour de cassation, dans ce dossier, a approuvé les juges d’appel qui avaient estimé que " la salariée était, au moment de la signature de l’acte de rupture conventionnelle, dans une situation de violence morale du fait du harcèlement moral dont (ils) ont constaté l’existence et des troubles psychologiques qui en sont résultés " [13]

Cette position de la Cour de cassation a été différente dans une affaire très récente. Un salarié, en arrêt maladie depuis 9 mois à la suite d’une dépression qu’il imputait à son travail, son médecin ayant fait état d’un syndrome anxiodépressif en rapport avec une situation de souffrance au travail (conflit hiérarchique, tensions relationnelles, pression,...)
Le salarié signe une convention de rupture et intente ensuite un recours pour demander son annulation.
La Cour de cassation après avoir indiqué qu’ "il ne résulte ni des pièces de la procédure ni de l’arrêt (de la Cour d’appel) que le salarié a invoqué devant les juges du fond des agissements précis de l’employeur susceptibles de laisser présumer un harcèlement moral". Les hauts magistrats ont indiqué ensuite que " si l’existence d’un différend entre les parties au contrat de travail n’affecte pas par elle-même la validité de la convention de rupture(...) la Cour d’appel a estimé qu’au moment de la signature de la convention le consentement du salarié était libre et éclairé " [14]

Michel RIBAS

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Notes de l'article:

[1Cour appel Rouen 27 avril 2010 n° 09-04140

[2Cour appel Lyon 13 septembre 2011 n° 10-091071

[3Cour appel Reims 16 mai 2012 n° 11-000624

[4Cass.soc.26 juin 2013 n° 12-15.208

[5Cass.soc. 3 juillet 2013 n° 12 -19.268

[6Cour appel Angers 20 décembre 2012 n° 10-02401

[7Cour d’appel Grenoble 5 janvier 2012

[8Cour d’appel Paris 22 février 2012 n° 10-04217

[9Cour appel Versailles 13 juin 2012 n° 10-05524

[10Cour appel Riom 18 janvier 2011

[11Cass.soc. 23 mai 2013 n°12-13.865

[12Cour d’appel Toulouse 3 juin 2011 n° 10-00338

[13Cass.soc. 30 janvier 2013 n°11-22.332

[14Cass.soc. 30 septembre 2012 n° 12-19711

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