Dans l’affaire qui lui était soumise, deux salariés engagés sous CDD avaient saisi le Conseil de prud’hommes en référé le 10 mars 2011, soit avant le terme de leur CDD fixé au 19 mars 2011, pour obtenir la requalification de leur contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée et la condamnation de la caisse à leur verser une indemnité de requalification.
Par ordonnance de référé rendue le 18 mars 2011 sur le siège en présence des parties, la formation de référé du conseil de prud’hommes a ordonné la poursuite des contrats de travail dans l’attente de la décision au fond.
La question qui se posait était donc de savoir si la formation de référé était compétente pour ordonner une telle mesure.
La Cour de cassation a répondu par l’affirmative.
Ce faisant, elle consacre donc, pour la première fois à notre connaissance, la possibilité pour la formation de référé du Conseil de prud’hommes d’ordonner à titre provisoire la poursuite d’un CDD au-delà de son terme dans le cadre d’un contentieux de requalification en CDI.
Cette décision renforce considérablement les pouvoirs de la formation de référé et pourrait s’avérer très utile et sécurisante pour les salariés en CDD qui souhaitent obtenir leur intégration sous CDI mais craignent que leur employeur mette fin à leur collaboration s’ils saisissent les prud’hommes.
1) La possibilité pour les salariés en CDD de demander en référé la poursuite des relations de travail pendant le temps de la procédure de requalification devant le Conseil de prud’hommes.
Par cet arrêt du 8 mars 2017, la Cour de cassation affirme que la formation de référé est compétente pour ordonner la poursuite des relations de travail entre un employeur et un salarié engagé sous CDD pendant le temps de la procédure en requalification en CDI initiée par ce dernier devant le Conseil de prud’hommes.
La Cour d’appel avait annulé l’ordonnance du Conseil de prud’hommes rendue en référé, laquelle ordonnait à l’employeur de poursuivre la relation de travail jusqu’à ce que le Bureau de jugement se prononce sur le fond de l’affaire et allouait au salarié une provision sur l’indemnité de requalification.
Pour ce faire, la Cour d’appel affirmait qu’une telle demande ne relevait pas de la compétence de la formation de référé dès lors que :
L’article L.1245-2 du Code du travail donne une compétence exclusive au Bureau de jugement pour statuer sur les demandes de requalification de CDD en CDI ;
L’appréciation du contrat de travail, sa requalification et sa poursuite sont des questions de fond relevant de la compétence exclusive des juges du fond et échappent donc au juge des référés ;
Le risque de non-renouvellement des CDD ne constitue pas le dommage imminent visé par l’article R.1455-6 du Code du travail justifiant la compétence du juge des référés puisque l’existence de ce dommage suppose l’appréciation et l’interprétation des règles de droit régissant le CDD, ce qui relève du fond de l’affaire.
A l’inverse, la Cour de cassation n’a retenu aucun de ces arguments et a validé l’ordonnance prise par le Conseil de prud’hommes en référé, affirmant que « constitue un dommage imminent, la perte de l’emploi par l’effet de la survenance du terme, durant la procédure, du contrat à durée déterminée toujours en cours au moment où le juge des référés statue, ce dommage étant de nature à priver d’effectivité le droit pour le salarié de demander la requalification d’un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée afin d’obtenir la poursuite de la relation contractuelle avec son employeur. »
Ce faisant, la Cour de cassation consacre expressément la compétence de la formation de référé du Conseil de prud’hommes quant au prononcé d’une injonction de poursuite des relations de travail avec un salarié employé en CDD qui demande la requalification en CDI.
Peu importe à cet égard que l’appréciation du bien-fondé de la demande de requalification relève de la compétence du Bureau de jugement. Il s’agit là d’une mesure provisoire visant à garantir l’effectivité du droit du salarié de demander la requalification de ses CDD en CDI et la poursuite des relations de travail au-delà du terme, ce droit pouvant par la suite être refusé par les juges du fond s’ils estiment que les conditions pour obtenir la requalification ne sont pas réunies.
D’ailleurs, il faut remarquer que la Cour de cassation a rendu cette décision au visa de l’article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui garantit le droit à un procès équitable.
Finalement, la consécration d’un tel pouvoir au profit de la formation de référé du Conseil de prud’hommes vise principalement à contrecarrer les pratiques des employeurs qui consistent, à titre de mesure de rétorsion, à cesser d’employer les salariés dès qu’ils saisissent le Conseil de prud’hommes en requalification de leurs CDD en CDI.
2) Une possibilité limitée aux cas où le CDD du salarié est toujours en cours au moment où le juge des référés statue.
Il convient néanmoins de préciser que la Cour de cassation a entendu circonscrire cette possibilité aux seuls cas où le CDD du salarié qui a saisi le Conseil de prud’hommes d’une demande de requalification en CDI est toujours en cours au jour où la formation des référés statue.
En effet, la solution serait différente si le salarié avait saisi le Conseil de prud’hommes postérieurement à l’arrivée du terme de son dernier contrat ou si son dernier contrat était arrivé à échéance entre le moment de sa saisine et l’audience devant la formation de référé.
Dans une telle hypothèse, la survenance du CDD ne pourrait s’analyser en un « dommage imminent » puisqu’elle serait déjà réalisée. Le juge ne pourrait dès lors plus enjoindre la poursuite des relations de travail.
Le cas échéant, le salarié n’étant plus employé, il ne pourrait plus demander, outre la requalification de ses CDD en CDI, que la requalification du terme de son dernier contrat en licenciement (sauf demande de réintégration dans les hypothèses de nullité de la rupture).
Sont donc de fait exclus de cette possibilité les salariés pigistes à la journée qui ne pourront jamais justifier d’un contrat en cours à la fois au moment de leur saisine qu’au moment où la formation de référé se prononce.
De même, il sera difficile pour les salariés employés par des CDD conclus pour de très courtes durées de remplir les conditions pour faire prospérer une telle demande.
Discussion en cours :
Bonjour,
Qu’en est-il avec la crise sanitaire actuelle et la fermeture des tribunaux ? Les CPH sont en effet fermés depuis le 16 mars 2020, y compris pour les procédures d’urgence en référé.
Cette circonstance exceptionnelle peut-elle être prise en compte ou le salarié est-il condamné à perdre son emploi à la survenance du terme de son contrat sans possibilité d’agir, étant donné les délais afin d’obtenir une audience, même en référé (sans compter la possible prolongation de la fermeture des tribunaux) ? Des mesures vont-elles être prises afin de ne pas priver les salariés de leur droit à un procès équitable garanti par l’article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Cour de Cassation, Chambre Sociale, 8 mars 2017, n°15-18.560) ?