La Cour de Cassation avait déjà jugé que la prise d’acte de la rupture n’était soumise à aucun formalisme particulier et qu’elle pouvait valablement être présentée par le Conseil du salarié au nom de celui-ci (Cass. soc. 04.04.2007 n° 05-42.847).
Mais l’Avocat avait alors adressé la lettre de prise d’acte de la rupture du contrat de travail à l’employeur de son client, alors que dans l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt du 16 mai 2012, la lettre avait été transmise à la juridiction prud’homale.
Or, la Cour souligne que c’est nécessairement l’employeur qui doit être le destinataire de la prise d’acte de la rupture.
Présentée directement devant le Conseil de Prud’hommes, la prise d’acte devait alors s’analyser comme une demande tendant à la résiliation judiciaire du contrat de travail.
Deux modes de rupture distincts…
La position de la Cour de Cassation s’explique par la nature même de la prise d’acte de la rupture du contrat de travail, distincte de celle de la demande de résiliation judiciaire du contrat.
La prise d’acte se définit comme la situation dans laquelle le salarié cesse le travail et notifie la rupture de son contrat de travail à l’employeur en lui en imputant la responsabilité du fait du non-respect de ses obligations contractuelles ou de son comportement estimé fautif par le salarié. Le Conseil de Prud’hommes saisi parallèlement ou ultérieurement par le salarié jugera si la rupture doit produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués justifiaient la prise d’acte, ou dans le cas contraire, d’une démission.
Si elle est également réservée aux seuls salariés, la résiliation judiciaire du contrat de travail suppose, à l’inverse, que le salarié poursuive l’exécution du contrat de travail et qu’il formule une demande en ce sens devant le Conseil de Prud’hommes, auquel il appartiendra précisément de prononcer la rupture s’il l’estime fondée à l’examen des griefs invoqués par le salarié.
Dans le second cas, la rupture n’interviendra que si le juge, auquel la demande est adressée, la prononce, et ce à la date du jugement ; dans le premier cas, la rupture du contrat de travail est immédiate et imputée à l’employeur, et elle doit de ce fait, nécessairement, être notifiée à ce dernier.
…. qui peuvent se succéder dans le temps
A une demande de résiliation judiciaire formulée par le salarié peut succéder une initiative du même salarié de prendre acte de la rupture de son contrat de travail.
Dans ce cas, la jurisprudence souligne que la prise d’acte de la rupture par le salarié en raison de faits qu’il reproche à l’employeur entraînant la cessation immédiate du contrat de travail, il n’y a plus lieu de statuer sur la demande de résiliation judiciaire introduite auparavant.
Toutefois, s’il appartient au juge de se prononcer sur la seule prise d’acte, il doit fonder sa décision sur les manquements de l’employeur invoqués par le salarié tant à l’appui de la demande de résiliation judiciaire devenue sans objet qu’à l’appui de la prise d’acte (Cass. soc. 25.02.2009 n° 06-46.436).
… mais dont la mise en œuvre nécessite une particulière vigilance du salarié ou de son Conseil
La Cour a rappelé à plusieurs reprises que la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail n’est pas une prise d’acte de la rupture du contrat de travail (Cass. soc 22.02.2006, n° 03-47.639 ; 21.03.2007 n° 05-45.390 ; 28.03.2007, n° 05-44.042 et 05-44.125).
Si la distinction entre ces modes de rupture semble aisée, la pratique révèle que la frontière entre les deux peut s’avérer parfois délicate.
La qualification juridique retenue par le juge peut n’être pas nécessairement celle que le salarié avait initialement choisie.
Ainsi, relevant qu’un salarié, ayant demandé la résiliation judiciaire de son contrat de travail, a eu la possibilité de continuer à travailler mais a choisi de ne plus remplir sa prestation de travail, il en a été déduit que le salarié avait pris acte de la rupture de son contrat de travail (Cass. soc. 19.12.2007 n° 06-44.873).
Ce n’est pas ici la formulation de la demande de l’intéressé qui a été déterminante, mais le choix du salarié de cesser le travail dès la notification à son employeur des griefs qu’il avait à lui reprocher.
A l’inverse, la Cour de Cassation a récemment jugé, dans un arrêt du 7 février 2012, qu’un salarié qui avait saisi le Conseil de Prud’hommes d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail, tout en cessant parallèlement le travail, n’avait pas pris acte de la rupture de ce contrat (Cass. soc. 07.02.2012 n° 09-73.062).
Dans cette espèce, le salarié, qui avait demandé la résiliation judiciaire de son contrat de travail auprès du Conseil de Prud’hommes, avait, en cause d’appel, modifié sa demande pour voir reconnaître qu’il avait en réalité pris acte de la rupture le jour de la saisine du Conseil de Prud’hommes.
A l’inverse de son précédent arrêt de 2007, la Cour de Cassation a fait primer la formulation de la demande initiale du salarié.
En réalité, la différence d’appréciation réside, dans l’arrêt du 7 février 2012, dans l’absence de volonté du salarié de rompre son contrat de travail au jour de la saisine de la juridiction prud’homale, puisque le salarié n’avait adressé à son employeur aucun courrier parallèlement à la cessation de ses fonctions.
Or, si la prise d’acte n’est soumise à aucun formalisme particulier, encore faut-il que le salarié qui l’invoque ait manifesté sa volonté de rompre son contrat et ce, au plus tard au jour de la saisine du Conseil de Prud’hommes.
Pour la Cour de Cassation, la prise d’acte de la rupture suppose une manifestation explicite de la volonté du salarié, et, ainsi qu’elle l’a affirmé encore dans un autre arrêt du 1er février 2012, la seule saisine du Conseil de Prud’hommes par un salarié pour voir juger que la rupture intervenue est imputable à l’attitude fautive de l’employeur ne peut être assimilée à une prise d’acte (Cass. soc. 01.12.2012, n° 10-20.732).
Les salariés - et leur Conseil - sont donc invités à une particulière vigilance tant dans la rédaction du courrier faisant état des griefs reprochés à l’employeur que dans le choix du destinataire (employeur ou Conseil de Prud’hommes).