Audiences filmées : comment ça marche après la loi du 22 décembre 2021 ?

Par Frédéric Chhum, Avocat et Sarah Bousbacher, Juriste.

2722 lectures 1re Parution: Modifié: 5  /5

Explorer : # enregistrement des audiences # diffusion des audiences # droits fondamentaux # procédure judiciaire

La loi n°2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire a consacré dans son titre premier une évolution majeure : un nouveau et plus souple régime dérogatoire au principe de l’interdiction de tout enregistrement et diffusion des audiences, selon l’alinéa premier de l’article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

-

En effet, c’est dans un premier, unique et incisif article que la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire change de manière retentissante et radicale, les règles du jeu du bon déroulement d’un procès, afin de « favoriser et renouer la confiance des justiciables en leur justice ».

Le décret n° 2022-462 du 31 mars 2022 prévoit les modalités d’application des dispositions de l’article 38 quater de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse prévoyant l’enregistrement des audiences en vue de leur diffusion.

Enfin, l’arrêté du 31 mars 2022 fixe les modèles de formulaires prévus par le décret n° 2022-462 du 31 mars 2022 pris pour l’application de l’article 1er de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire.

1) Consécration du régime dérogatoire au principe de l’interdiction de l’enregistrement et de la diffusion des audiences.

L’alinéa troisième de l’article premier de la loi n°2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire consacre un nouvel article 38 quater dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui instaure un nouveau régime dérogatoire au principe posé par l’alinéa premier de l’article 38 ter qui interdit formellement et strictement « dès l’ouverture de l’audience des juridictions administratives ou judiciaires, l’emploi de tout appareil permettant d’enregistrer, de fixer ou de transmettre la parole ou l’image ».

Tandis que la dérogation à ce principe n’était auparavant prévue que par l’alinéa deuxième de son même article selon lequel « le président peut autoriser des prises de vues quand les débats ne sont pas commencés et à la condition que les parties ou leurs représentants et le ministère public y consentent », l’article 38 quater instaure désormais l’existence d’un véritable régime dérogatoire entier et complet qui tend à renverser le principe et son exception jusqu’à imposer l’enregistrement et la diffusion des audiences au nom de la confiance dans l’institution judiciaire

1.1) Des conditions dérogatoires souples.

En effet, ce nouvel article pose des conditions larges et souples d’enregistrement et de diffusion des audiences, et c’est là tout le point culminant et novateur de la loi du 22 décembre 2021, car en même temps que d’ouvrir la voie à un nouveau droit, ce dernier est fortement tempéré dans son utilisation par la prédominance absolue des droits et libertés fondamentaux.

Il s’agit alors pour la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, en ouvrant les portes des salles d’audience à un plus large public par « l’emploi de tout appareil permettant d’enregistrer, de fixer ou de transmettre la parole ou l’image dès l’ouverture de l’audience des juridictions administratives ou judiciaires », de garantir dans le même temps le respect des droits fondamentaux des personnes enregistrées par le maintien du « bon déroulement de la procédure et des débats ».

Pour ce faire, le nouvel article 38 quater permet l’autorisation de « l’enregistrement sonore ou audiovisuel d’une audience » pour de nombreux motifs « pédagogique, informatif, culturel ou scientifique » qui peuvent justifier alors tout enregistrement et donc renverser ainsi facilement le principe de son interdiction.

A cet égard, l’article 2 du décret publié le 1er avril 2022 insiste sur le fait que « la demande d’autorisation d’enregistrement sonore ou audiovisuel d’une audience en vue de sa diffusion » doit « préciser le motif d’intérêt public d’ordre pédagogique, informatif, culturel ou scientifique qui la justifie », en plus que de devoir être accompagnée d’une « description circonstanciée du projet éditorial ».

1.2) Un régime procédural strict.

De même, l’article 38 quater ainsi inséré par la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire prévoit un cadre procédural strict prévoyant une demande d’autorisation de l’enregistrement et de la diffusion, consistant en une demande adressée au ministre de la justice, qui délivre par la suite une « autorisation après avis du ministre de la justice, par le président du Tribunal des conflits, le vice-président du Conseil d’Etat, le premier président de la Cour de cassation et le premier président de la Cour des comptes », selon la juridiction concernée.

L’article 3 du décret n° 2022-462 du 31 mars 2022 précise à cet effet que « dans un délai de quinze jours à compter de la réception de la demande, le garde des sceaux, ministre de la justice, transmet son avis à l’autorité appelée à statuer. Au terme de ce délai, son silence vaut avis défavorable », tandis que l’article 5 ajoute que « l’autorité appelée à statuer sur la demande d’autorisation se prononce dans un délai de quarante-cinq jours à compter de sa réception par le garde des sceaux, ministre de la justice. Elle notifie sa décision sans délai au demandeur. Au terme du délai de quarante-cinq jours, son silence vaut décision de rejet ».

Par ailleurs, l’article 6 du décret du 31 mars 2022 apporte de nombreuses précisions en cas de refus d’un enregistrement car la décision peut à cet effet « faire l’objet d’un recours dans les huit jours de sa notification ou de la date à laquelle est née la décision implicite de rejet » et ce recours n’ayant pas d’effet suspensif est porté :
1° Devant le Tribunal des conflits, lorsque la décision a été rendue par le président de cette juridiction,
2° Devant le Conseil d’Etat, lorsque la décision a été rendue par le vice-président du Conseil d’Etat ou par le président d’une juridiction de l’ordre administratif,
3° Devant la Cour de cassation, lorsque la décision a été rendue par le premier président de la Cour de cassation, par le président des juridictions comprenant un magistrat du siège membre de la Cour de cassation ou le premier président d’une cour d’appel
 ».

Ainsi, l’enregistrement et la diffusion des audiences, bien qu’élevés implicitement au niveau de principe, restent soumis à de multiples conditions qui ont pour finalité de rappeler et souligner le caractère profondément singulier de la nature des audiences, et de l’intimité des procès.

1.3) Une protection des droits fondamentaux des personnes enregistrées et du bon déroulement du procès.

C’est à cet égard que les modalités de l’enregistrement ne doivent en aucun cas porter atteinte « ni au bon déroulement de la procédure et des débats, ni au libre exercice de leurs droits par les parties et les personnes enregistrées dont la confidentialité des échanges entre l’avocat et son client », tout comme la diffusion doit être « réalisée dans des conditions ne portant ni atteinte à la sécurité, ni au respect de la vie privée des personnes enregistrées, ni au respect de la présomption d’innocence », comme le précise le régime prévu par l’article 38 quater.

Il faut souligner à cet effet, qu’aucun « élément d’identification des personnes enregistrées ne peut être diffusé cinq ans après la première diffusion de l’enregistrement ou dix ans après l’autorisation d’enregistrement », ce qui permet d’instaurer alors un droit à l’oubli.

C’est à cet égard que l’article 7 du décret du 31 mars 2022 rappelle la primauté dans toute la procédure de demande d’autorisation d’enregistrement, du recueil des consentements des personnes enregistrées :

« Dans tous les cas où un accord préalable à l’enregistrement est requis, son recueil incombe au bénéficiaire de l’autorisation d’enregistrement, qui en justifie auprès du président de l’audience.

L’accord est recueilli au moyen d’un formulaire établi conformément à un modèle fixé par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice.

Dans le cas où l’enregistrement d’une audience, qu’elle soit publique ou non, concerne un majeur bénéficiant d’une mesure de protection juridique apte à exprimer sa volonté mais inapte à la transcrire, le majeur protégé peut, à cette fin, bénéficier de l’assistance de la personne chargée de sa protection ».

Enfin, l’article 9 du décret du 31 mars 2022 protège le consentement des personnes enregistrées par la préservation d’un délai de quinze ours pour se rétracter, courant à partir du lendemain du dernier jour de la dernière audience enregistrée.
Aussi, « la diffusion intégrale ou partielle de l’enregistrement n’est [toujours] possible qu’après que l’affaire a été définitivement jugée ».

Ont été publiés, par arrêté du 31 mars 2022 :
- Un modèle de formulaire de recueil des accords des parties à l’enregistrement des audiences non publique ;
- Un modèle de formulaire de recueil des accords des majeurs protégés et des mineurs à l’enregistrement des audiences, qu’elles soient publiques ou non ;
- Un modèle de formulaire de recueil des consentements des personnes enregistrées à la diffusion de leur image et de leurs éléments d’identification, ainsi que le modèle de formulaire de rétractation de ce consentement.

2) Affirmation du principe de preuve de la vérité des faits diffamatoires.

Tout d’abord, l’article premier de la loi n°2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire modifie l’article 35 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

Alors que les troisièmes à antépénultième alinéas de cet article étaient rédigés ainsi :

« La vérité des faits diffamatoires peut toujours être prouvée, sauf lorsque l’imputation concerne la vie privée de la personne.

Le troisième alinéa du présent article ne s’applique pas lorsque les faits sont prévus et réprimés par les articles 222-23 à 222-32 et 227-22 à 227-27 du Code pénal et ont été commis contre un mineur. La preuve contraire est alors réservée. Si la preuve du fait diffamatoire est rapportée, le prévenu sera renvoyé des fins de la plainte.

Dans toute autre circonstance et envers toute autre personne non qualifiée, lorsque le fait imputé est l’objet de poursuites commencées à la requête du ministère public, ou d’une plainte de la part du prévenu, il sera, durant l’instruction qui devra avoir lieu, sursis à la poursuite et au jugement du délit de diffamation », ils sont désormais remplacés par seulement deux alinéas tels que : « La vérité des faits diffamatoires peut toujours être prouvée, sauf lorsque l’imputation concerne la vie privée de la personne.

Le troisième alinéa du présent article ne s’applique pas lorsque les faits sont prévus et réprimés par les articles 222-23 à 222-32 et 227-22 à 227-27 du Code pénal et ont été commis contre un mineur. La preuve contraire est alors réservée. Si la preuve du fait diffamatoire est rapportée, le prévenu sera renvoyé des fins de la plainte ».

Par conséquent, la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire a supprimé l’ancien alinéa concernant la non-application du principe de preuve de la vérité des faits diffamatoires lorsque le fait imputé est l’objet de poursuites commencées à la requête du ministère public, ou d’une plainte du prévenu, c’est-à-dire lorsqu’il y a une audience judiciaire.

Ainsi modifié, l’article 35 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de presse ouvre donc la possibilité de prouver la vérité des faits diffamatoires par le biais de l’enregistrement et la diffusion des audiences.

3) Aggravation de la peine de l’infraction relative aux publications interdites.

Ce même article premier de la loi n°2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire ajoute à la peine prévue antérieurement par l’article 38 ter de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, deux mois d’emprisonnement en plus de 4 500 euros d’amende pour l’« emploi de tout appareil permettant d’enregistrer, de fixer ou de transmettre la parole ou l’image dès l’ouverture de l’audience des juridictions administratives ou judiciaires » à moins que cet emploi ait été autorisé par « le président et à la condition que les parties ou leurs représentants et le ministère public y consentent ».

Ainsi, en parallèle de la consécration d’un nouveau régime dérogatoire au principe de l’interdiction de tout enregistrement au cours des procès que nous verrons ensuite, les peines de cette interdiction subissent une aggravation notable, ce qui pourrait laisser penser à première vue, à une certaine incohérence ou du moins, à un certain paradoxe entre l’atténuation de l’interdiction et la répression.

Toutefois, il ne s’agit pas tant de dissuader l’enregistrement des audiences, mais plutôt de mieux encadrer cette nouvelle possibilité au vu de ses dérives incertaines et déroutantes face à la sacralité passée du sanctuaire du procès.

Sources.

Loi n°2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire.

Avis du Conseil d’Etat sur un projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire.

Décret n° 2022-462 du 31 mars 2022 pris pour l’application de l’article 1er de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire.

Arrêté du 31 mars 2022 fixant les modèles de formulaires prévus par le décret n° 2022-462 du 31 mars 2022 pris pour l’application de l’article 1er de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire.

Filmer et diffuser les procès : que prévoit le projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire ?

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\’ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021)
CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille)
chhum chez chhum-avocats.com
www.chhum-avocats.fr
http://twitter.com/#!/fchhum

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

16 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

A lire aussi :

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 340 membres, 27886 articles, 127 257 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• [Dossier] Le mécanisme de la concurrence saine au sein des équipes.

• Avocats, être visible sur le web : comment valoriser votre expertise ?




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs