Le fonds de commerce électronique au Maroc : vers une reconnaissance juridique ? Par Maha Gharbi, Juriste.

Le fonds de commerce électronique au Maroc : vers une reconnaissance juridique ?

Par Maha Gharbi, Juriste.

3284 lectures 1re Parution: 1 commentaire 4.73  /5

Explorer : # commerce électronique # fonds de commerce # législation marocaine # clientèle numérique

En présence d’un grand vide juridique, et d’un épanouissement du commerce électronique au niveau national et international surtout à la suite de la crise sanitaire et le changement du comportement des consommateurs qui s’incline plus vers le numérique.
Le droit est aujourd’hui mis à l’épreuve du numérique, et le fonds de commerce n’échappe pas à cette réalité.

-

De toute évidence, la notion du fonds de commerce au Maroc a parcouru un long chemin : d’une notion totalement méconnue forgée uniquement par la pratique commerciale, à une considération juridique limitée par le « Dahir de 1914 » sous l’angle de la vente, de l’apport en société et du nantissement pour aboutir à la réglementation actuelle de la loi 15-95 qui constitue aujourd’hui la base de l’étude du fonds de commerce. Néanmoins, l’arsenal juridique en matière du fonds de commerce ne semble pas répondre aux questions contemporaines liées au développement de l’économie et du commerce en particulier.
En présence d’un grand vide juridique, et d’un épanouissement du commerce électronique au niveau national et international surtout à la suite de la crise sanitaire et le changement du comportement des consommateurs qui s’incline plus vers le numérique. Le droit est aujourd’hui mis à l’épreuve du numérique, et le fonds de commerce n’échappe pas à cette réalité.
Cet état des choses nous laisse s’interroger principalement sur le sort des millions de transactions faites en ligne, par des clients fidèles et permanents dans des sites de commerce électronique, et nous invite à s’enquérir sur les questions posées par le fonds de commerce électronique.

La clientèle du fonds de commerce : une notion en évolution.

La clientèle et l’achalandage sont respectivement considérés comme les éléments essentiels pour l’existence d’un fonds de commerce.
Selon l’article 80 du code de commerce :

« le fonds de commerce comprend obligatoirement la clientèle et l’achalandage… ».

Le législateur dresse une liste complémentaire aux autres biens nécessaires à l’exploitation du fonds de commerce comme le nom commercial, l’enseigne, les brevets d’invention…
Toutefois, il est clair que la clientèle et l’achalandage sont les composantes basiques d’un fonds de commerce.
La clientèle constitue l’ensemble des personnes qui s’approvisionnent habituellement auprès d’un fonds de commerce, en raison de la compétence ou du savoir-faire du commerçant « Le fonds de commerce ne se conçoit et ne peut exister qu’en fonction d’une clientèle ».

Le législateur marocain adopte cette analyse du fonds de commerce qui repose sur la clientèle et l’achalandage comme éléments nécessaires pour l’existence d’un fonds de commerce. D’ailleurs, la jurisprudence marocaine précédant la réforme du code de commerce de 1995 avait insisté sur le lien existant entre fonds de commerce et clientèle.
Or, la présence physique seule du client au local du commerçant n’est qu’une simple forme de la relation qui peut lier le commerçant à sa clientèle. Il existe une autre forme virtuelle que la loi néglige totalement à savoir la clientèle électronique.

Selon l’étude annuelle du Centre Monétique Interbancaire : « au 30 Septembre 2021, c’est près de 15 Millions de transactions et un volume 5,34 Milliards de Dhs qui ont été faites en ligne par carte au Maroc en 9 mois de l’année 2021 ». Ces chiffres attestent de l’existence d’une clientèle électronique identique à celle du commerce de proximité, qui au lieu de se rendre physiquement au magasin ou à la boutique choisit plutôt de se rendre au site du cybercommerçant pour effectuer ses achats. La relation personnelle du commerçant à sa clientèle est ipso facto établie dans les deux cas, que ce soit dans les locaux de son commerce ou en ligne dans sa boutique virtuelle.
En effet, les sites du e-commerce sont plus susceptibles de déterminer le caractère réel et personnel de la clientèle et ce, à travers l’indicateur des visites des sites web qui peut mesurer l’audience d’un site, le nombre d’achat effectué par client ainsi que la clientèle passagère qui ne présente aucun lien de fidélité avec le commerçant.

Les problématiques posées par le fonds de commerce électronique.

En face d’une explosion du commerce en ligne, l’adaptation des notions juridiques en matière du fonds de commerce apparaît nécessaire.
Cependant, il est prioritaire d’exposer les différentes problématiques liées à la reconnaissance juridique d’un fonds de commerce électronique notamment la vente et le nantissement.
En France, la jurisprudence a contribué largement à repenser la notion du fonds de commerce et ce en établissant le rapport existant entre développement du commerce et questions posées par le droit.
La première reconnaissance d’un fonds de commerce électronique remonte à 2005 dans l’affaire MINITEL dont l’arrêt de la cour de cassation française a reconnu que :

« l’exploitant d’une “messagerie conviviale” sur Minitel possédait une clientèle personnelle, distincte de celle de France Telecom, auquel il convenait d’être abonné pour pouvoir accéder au service ».

En conséquence, un site marchand dispose nettement d’une clientèle réelle et personnelle.
A l’instar d’un commerçant classique, le cybercommerçant dispose d’un site où il met en vente ses produits. Ce site contient l’ensemble des caractéristiques d’un fonds de commerce classique. Il comprend une panoplie de biens corporels et incorporels notamment la clientèle, le nom commercial et l’enseigne.
Dans le cadre d’une cession d’un fonds de commerce classique, les éléments corporels et incorporels de ce dernier sont déterminants de sa valeur. Contrairement au fonds de commerce électronique qui se distingue par un caractère dématérialisé et donc sa cession englobe à la fois le site internet qui est un bien immatériel et l’activité commerciale qu’il représente et la question la plus délicate est celle d’évaluer ce fonds de commerce électronique.
La cession du fonds de commerce électronique ne peut se réaliser sans faire l’analyse des contrats qui s’y rapporte : c’est le cas notamment des contrats de création de site, d’attribution du nom de domaine, de référencement, d’hébergement ...etc.

En somme, il faut admettre que le législateur marocain ne pouvait concevoir le fonds de commerce en 1995 que classiquement surtout que le commerce électronique est toujours en phase de croissance. Dans les prochaines années cette problématique du fonds de commerce électronique s’imposera intensément au Maroc à la fois au niveau jurisprudentiel et au niveau doctrinal. Toutefois, une transposition du commerce traditionnel à celui de l’Internet ne sera réalisable qu’en vertu d’un certain nombre d’ajustements juridiques.

Maha Gharbi,
Juriste d’affaires,
Rabat, Rabat-Salé-Kénitra, Maroc.

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

11 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Commenter cet article

Discussion en cours :

  • par Mohamed Zemrani , Le 1er août 2023 à 15:21

    Par fonds de commerce électronique, il convient d’entendre les achats en ligne - soit hors achats sur site -, son importance en nombre et en volume n’est donc pas à apprécier par référence aux paiements par carte qui incluent aussi les achats de biens et prestations sur site (supermarchés, hôtels, et même les billets de voyage (ONCF-CTM-), etc ;
    En outre, la loi 49-16 relative à la location des biens immobiliers et des locaux commerciaux, énonce dans son article 7 l’appréciation du fonds de commerce, entre autre, par référence à la déclaration fiscale, ce qui implique nécessairement la prise en considération du chiffre d’affaires qui inclut les achats effectifs en ligne qui peuvent être appréciées par référence aux données comptables ou extra comptable.

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 340 membres, 27875 articles, 127 257 messages sur les forums, 2 750 annonces d'emploi et stage... et 1 600 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• Assemblées Générales : les solutions 2025.

• Avocats, être visible sur le web : comment valoriser votre expertise ?




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs