Guide de survie juridique aux comparutions immédiates tardives.

Par Alexandre-M. Braun, Avocat.

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Explorer : # comparution immédiate # procès équitable # droits de la défense # jurisprudence européenne

Au cœur de l’été, alors que les vols long-courriers se multiplient, les professionnels de la justice pénale, et surtout les justiciables, sont confrontés à une tout autre sorte de voyage interminable, dans des conditions à coté desquels les low-cost s’apparentent à des jets privés. Il s’agit des audiences de comparution immédiates se finissant à des heures qui, à force d’être tardives, deviennent matinales.

-

Un site d’information juridique s’est, à titre d’exemple, fait l’écho d’une telle audience, démarrée à 13h30 ; et qui s’est achevée à 6h30 [1].

Que faire pour contester de telles procédures ? La Cour de cassation semble interdire tout espoir sur le plan des délais de comparution de l’article 395 du Code de procédure pénale (1), en revanche la Cour européenne des droits de l’homme vient au soutien de la défense, sur le plan des exigences du procès équitable (2).

1- Selon la Cour de cassation, les audiences interminables ne contreviennent pas aux délai l’article 395 du Code de procédure pénale.

Il convient de rappeler que le choix de la procédure de comparution immédiate revient au Procureur de la République, qui peut, aux termes de l’article 395 du Code de procédure pénale « traduire le prévenu sur-le-champ devant le tribunal », si le maximum de l’emprisonnement prévu par la loi est d’au moins six mois en cas de flagrance, deux ans en l’absence de flagrance et s’ «  il lui apparaît que les charges réunies sont suffisantes et que l’affaire est en état d’être jugé ».

Et l’alinéa 3 de l’article 395 précise que « le prévenu est retenu jusqu’à sa comparution qui doit avoir lieu le jour même  » (mis en gras par l’auteur).

Dans un arrêt du 12 janvier 2021 [2], la Chambre criminelle de la Cour de cassation s’est prononcée sur la validité de la procédure de comparution immédiate lorsque le prévenu n’est pas jugé « le jour même », mais après minuit.

En l’espèce, le prévenu avait comparu à 0h47. Le Tribunal correctionnel, dont la position avait été confirmée par la Cour d’appel, s’était, dans ces conditions, considéré non valablement saisi.

La haute juridiction allait casser cet arrêt en considérant que « le Tribunal correctionnel est irrévocablement saisi par le procès-verbal de notification établi par le procureur de la République » mais surtout que :

- D’une part il aurait été « satisfait à la réserve posée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 17 décembre 2010 (n° 2010-80-QPC), dès lors que l’intéressé a été présenté à la formation du siège avant l’expiration du délai de 20 heures couru à compter de la levée de sa garde à vue » (considérant 13).

L’argument apparaît critiquable. Le délai de 20 heures, édicté par l’article 803-3 du Code de procédure pénal, est celui dans lequel le prévenu doit être présenté pour la première fois à la juridiction. La nécessité de présenter l’intéressé à un magistrat du siège, effectivement exigé par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 17 décembre 2010 a pour objet, selon le considérant 10 de cette même décision « de porter une appréciation immédiate sur l’opportunité de (la) rétention ».

En pratique, la comparution du délai de 20 heures est une vérification d’identité par laquelle aucun contrôle de l’opportunité de la rétention n’est exercé. Si la commodité d’une telle interruption de délai peut, faute de s’approuver, se comprendre, pour permettre l’organisation des audiences au quotidien, elle ne devrait pas justifier que le prévenu soit ensuite soumis à une interminable attente. Qui plus est, il est regrettable que les magistrats, gardiens de la liberté individuelle, acceptent de galvauder leur fonction en limitant la vérification de l’opportunité de la rétention à une simple formalité.

- D’autre part, « l’exigence d’une comparution “le jour même” de la présentation de l’intéressé au parquet ne saurait être interprétée comme la nécessité de le juger impérativement avant minuit, mais comme celle de le faire comparaître au cours de l’audience considérée, quand bien même celle-ci se terminerait après minuit en raison de contraintes diverses » (considérant 12).

Il est regrettable que la jurisprudence fasse parfois perdre leur sens aux mots les plus simples. Le code de procédure pénale prévoit expressément que la comparution doit avoir lieu le jour même. C’est d’ailleurs une tautologie : la comparution immédiate se doit d’être immédiate. Telle n’est hélas pas la position de la Cour de cassation, se fondant sur l’article 395 du Code de procédure pénale.

Comme souvent, la sauvegarde de nos libertés publiques semble plus efficace sous l’impulsion du droit européen.

2- Selon la Cour européenne des droits de l’homme, les audiences tardives sont incompatibles avec les exigences du procès équitable.

SI, à notre connaissance, la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas eu l’occasion de de prononcer sur la conventionnalité des procédures de comparution immédiate se tenant jusqu’au bout de la nuit, elle a statué – et condamné la France – au sujet des audiences criminelles interminables.

En l’espèce, une audience s’était poursuivie jusqu’à 4 heures du matin, la défense avait plaidé à partir de 4h25 du matin, et ce à la fin de trois journées de débats très denses

Dans un arrêt du 19 octobre 2004 [3] la Cour a, sur le fondement des alinéas 3 et 1 de l’article 6 de la Convention (soit le droit à un procès équitable et les droits de la défense) estimé à l’unanimité « qu’il est primordial que, non seulement les accusés, mais également leurs défenseurs, puissent suivre les débats, répondre aux questions et plaider en n’étant pas dans un état de fatigue excessif. De même, il est crucial que les juges et jurés bénéficient de leurs pleines capacités de concentration et d’attention pour suivre les débats et pouvoir rendre un jugement éclairé. Les conditions dans lesquelles s’est déroulé le procès du requérant n’ont pas respecté les exigences d’un procès équitable et notamment de respect des droits de la défense et d’égalité des armes ».

Les mêmes principes doivent conduire à l’annulation pure et simple des audiences de comparution immédiates se tenant à des heures trop tardives. Ce caractère tardif pourrait être apprécié in concreto. A cet effet, la circulaire de Marylise Lebranchu, du 6 juin 2001, qui avait fixé la durée maximale de l’audience pénale, risque fort de ne pas être un repère, même théorique. A partir de – à tout le moins - minuit, la défense sera bien fondée à protester et refuser de plaider.

La Cour de cassation, quand bien même elle a validé des audiences se poursuivant après minuit (cf. supra), semble prête à reconnaitre que les audiences tardives ne sont pas conformes à un procès équitable. Ainsi, s’agissant de la faculté du Parquet de saisir un juge des libertés et de la détention dans l’attente de l’audience, du fait de l’impossibilité de réunir le Tribunal le jour même, elle considère expressément que cette impossibilité peut tenir « à la circonstance que le temps manquera pour examiner l’affaire dans des conditions de nature à garantir l’équité du procès » [4].

Restera le piège habituel des comparutions immédiates, à savoir que le Tribunal se prononcera sur ce qui est pudiquement qualifié de « conditions du renvoi », ou plus prosaïquement la détention provisoire du prévenu dans l’attente du jugement.

Pourtant, au-delà de la nullité des débats de fond organisés au bout de la nuit, le débat sur la détention intervenant dans les mêmes conditions ne saurait être valable. Hélas, cela risque de ne pas être la position du Parquet, ni même de la plupart des juridictions de fonds, et ce combat devra être mené jusqu’au plus hautes juridictions.

Alexandre-M. Braun
Avocat à la Cour
Barreau de Paris
https://braun-avocat.com

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Notes de l'article:

[1Article à lire ici.

[2Cass crim, 12 janvier 2021, n°20-80.259, Dalloz actualité 4 février 2021 commentaire Hugues Diaz.

[3Makhfi c. France, 59335/00, Recueil Dalloz, 2005, page 472, commentaire Damien Roets.

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