Heures supplémentaires : cadre juridique et charge de la preuve.

Par M.Kebir, Avocat.

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Explorer : # heures supplémentaires # pouvoir de direction # preuve

Nombre de conflits de travail sont consécutifs aux heures supplémentaires : preuve, durée maximale, charge de travail, contingent annuel, paiement, repos compensateur...

Encadré, décliné le cas échéant par les accords collectifs, le recours aux heures de travail supplémentaires repose sur des principes protégeant la relation contractuelle tant de l’abus que de l’atteinte aux droits du salarié.

Partagée entre l’employeur et le salarié, la charge de la preuve n’en soulève pas moins des difficultés tenant à la nature et le caractère probant de celle-ci.

-

De par son pouvoir de direction, les heures supplémentaires relèvent de la décision de l’employeur.

Les heures supplémentaires : émanation du pouvoir de direction de l’employeur.

« Exclusives de toute atteinte aux droits élémentaires du salarié, il est loisible à l’employeur d’ordonner et de cesser les heures supplémentaires, sans que le salarié ne puisse en réclamer.
Ceci à moins que le contrat de travail les prévoit expressément : il n’existe pas de droit acquis à l’exécution d’heures supplémentaires sauf engagement de l’employeur vis à vis du salarié à lui en assurer l’exécution d’un certain nombre ; qu’à défaut d’un tel engagement, seul un abus de l’employeur dans l’exercice de son pouvoir de direction peut ouvrir droit à indemnisation ;

Attendu que pour condamner la société à payer au salarié une somme au titre du préjudice subi dans l’attribution des heures supplémentaires, l’arrêt retient que le salarié a effectué un nombre d’heures supplémentaires très inférieur à la moyenne du nombre d’heures supplémentaires effectuées par les salariés de l’entreprise ; que la société ne donne aucune explication sur les raisons objectives de la diminution des heures supplémentaires dans ces proportions subie par le salarié ; qu’en excluant le salarié de la réalisation des heures supplémentaires sans en expliquer la raison, la société lui a causé un préjudice ;

Qu’en statuant ainsi, en ne caractérisant, ni l’existence d’un engagement de l’employeur sur le nombre d’heures supplémentaires garanti au salarié, ni l’abus d’exercice de son pouvoir de direction, la cour d’appel a violé les textes susvisés » [1].

Contrepoids au pouvoir de direction, l’abus étant la limite en la matière. Ainsi, le salarié est fondé à refuser d’effectuer des heures supplémentaires en cas d’injonction injustifiée commise par l’employeur.

En cela, la Jurisprudence fournit des illustrations à forte portée pédagogique.

Tel est le cas si l’employeur n’a pas prévenu le salarié suffisamment tôt :

« Ce n’était qu’exceptionnellement et parce qu’il n’avait pas été prévenu suffisamment tôt que le salarié avait refusé d’effectuer des heures supplémentaires ; qu’en l’état de ces constatations, « la Cour d’appel » a décidé, par une décision motivée, dans l’exercice des pouvoirs qu’elle tient de l’article L 122-14-3 du Code du travail, que le licenciement ne procédait d’aucune cause réelle et sérieuse » [2].

De même, l’employeur ne peut enjoindre au salarié d’accomplir systématiquement des heures supplémentaires le samedi : celles-ci ne répondent aucunement aux impératifs liés à l’organisation de l’entreprise ; les nécessités de l’entreprise ne l’exigent pas :

« L’entreprise avait été contrainte de faire exécuter des heures supplémentaires à certains salariés le samedi, par roulement, de manière à effectuer une livraison de marchandises le lundi matin à un client important, et que le refus de la salariée de se plier à cette contrainte désorganisant l’entreprise et constituait un acte d’indiscipline caractérisée, constitutif d’une faute grave ;

Qu’en statuant ainsi sans rechercher si le caractère systématique des heures supplémentaires imposées à la salariée le samedi n’avait pas pour effet de modifier de façon substantielle le contrat de travail de l’intéressée, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision » [3].

C’est le cas aussi lorsque l’’employeur n’a pas attribué au salarié de repos compensateur, au titre des heures supplémentaires précédemment effectuées. En l’espèce, un employeur a été condamné à verser aux salariés des dommages-intérêts :

« Au titre des heures supplémentaires n’ayant pas donné lieu à repos compensateur ; ... eu égard à l’inexécution de ses obligations par l’employeur, les salariés avaient pu valablement refuser d’exécuter les heures de travail supplémentaires demandées » [4].

En outre, quid des heures supplémentaires réalisées par le salarié, non demandé par l’employeur ?

Les heures supplémentaires nécessaires à la réalisation du travail sont dues.

En la matière, le temps de travail est régi par les dispositions légales et/ou conventionnelles.
L’article L 3121-28 Code du travail prévoit que :

  • toute heure accomplie au delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée considérée comme équivalente est une heure supplémentaire
  • qui ouvre droit à une majoration salariale ou, le cas échéant, à un repos compensateur équivalent.

A cet égard, par un un arrêt édifiant du 28 septembre 2022, la Chambre sociale a précisé les contours de rémunération des heures supplémentaires non imposées par l’employeur, mais rendues nécessaires par la nature de la tâche.

En somme, le salarié peut prétendre au paiement des heures supplémentaires accomplies :

  • soit avec l’accord au moins implicite de l’employeur,
  • soit s’il est établi que la réalisation de telles heures a été rendue nécessaire par les tâches qui lui ont été confiées.

Ainsi, la Haute assemblée censure la Cour d’appel qui a débouté le salarié de sa demande au titre des heures supplémentaires et des congés payés y afférents, au motif que, pour les juges du fond,

  • d’une part, il n’a jamais sollicité de son supérieur hiérarchique une autorisation d’exécuter des heures au-delà de celles prévues au contrat
  • et, d’autre, n’a pas évoqué auprès de ce dernier la nécessité dans laquelle il se serait trouvé de réaliser un nombre aussi conséquent d’heures supplémentaires pour atteindre ses objectifs.

La réponse de la Cour régulatrice est on ne peut plus claire :

« l’absence d’autorisation préalable n’exclut pas en soi un accord tacite de l’employeur à la réalisation d’heures supplémentaires » [5].

Dès lors, les salariés sous statut de cadre, non soumis au forfait en jours, sont fondés à réclamer le paiement des heures supplémentaires accomplies, sans l’accord de l’employeur pour peu qu’il soit démontré que celles-ci sont rendues nécessaires par les tâches qui leur ont été confiées.

Ce qui n’est pas sans rappeler les notions de la charge de travail et des objectifs « réalisables » et atteignables [6]

Paiement et repos compensateur.

En fonction des dispositions contractuelles, voire conventionnelles (convention collective, accord collectif d’entreprise ou d’établissement, accord de branche), au lieu et place du paiement des heures supplémentaires, un repos compensateur - de remplacement -, en partie ou en totalité, est susceptible d’être envisagé entre les parties :

« II.-Une convention ou un accord collectif d’entreprise ou d’établissement ou, à défaut, une convention ou un accord de branche peut également :

1° Prévoir qu’une contrepartie sous forme de repos est accordée au titre des heures supplémentaires accomplies dans la limite du contingent ;

2° Prévoir le remplacement de tout ou partie du paiement des heures supplémentaires, ainsi que des majorations, par un repos compensateur équivalent » [7].

En tout état de cause, conformément aux dispositions de l’article L 3121-33 Code du travail, les heures supplémentaires sont accomplies, dans la limite du contingent annuel applicable dans l’entreprise, après information du comité social et économique (CSE) [8].

La preuve des heures supplémentaires.

S’agissant de faire la démonstration de la réalité d’une prétention, le régime de la preuve s’appuie sur le principe général posé par l’article 9 Code de procédure civile :

« Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention ».

Il s’en suit que, à première vue, la charge de la preuve pèserait sur le demandeur.

Or, s’agissant des heures supplémentaires, la charge de la preuve est partagée entre employeur et salarié :

« En cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d’enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable » [9].

En cela, conformément à la Jurisprudence, la preuve des heures de travail effectuées suppose que : le salarié fournisse préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande [10]

Au fond, c’est au visa de l’article L 3171-4 Code du travail que la Cour de cassation a posé un principe constant :

« Lorsque le salarié fournit des éléments suffisamment précis à l’appui de ses demandes, l’employeur a l’obligation d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments » [11].

Concrètement, il revient à l’employeur de :

  • produire les documents nécessaires en réponse au salarié qui estime ne pas avoir été rémunéré pour la totalité des heures de travail qu’il a accomplies.
  • obligation pesant sur l’employeur dès lors que les preuves rapportées par le salarié sont suffisamment précises.

En ce sens, le salarié ne peut pas se borner aux affirmations. Il doit, en effet, étayer sa demande en rapportant la preuve par tout moyen : relevés d’heures, courriels, un agenda, des témoignages...

De fait, c’est lorsque le salarié produit des éléments suffisamment précis que commence l’obligation de l’employeur. Lequel doit y répondre.

Dit autrement, droit constant, tel que vu supra, il incombe à l’employeur de produire des éléments probants permettant de contester ceux du salarié quant la preuve des heures supplémentaires.

Tel postulat est d’autant plus harmonieux, en ce sens que le législateur impose à l’employeur de contrôler la durée de travail du salarié :

« L’employeur affiche les heures auxquelles commence et finit le travail ainsi que les heures et la durée des repos.
Lorsque la durée du travail est organisée dans les conditions fixées par l’article L 3121-44, l’affichage comprend la répartition de la durée du travail dans le cadre de cette organisation
 » [12].

De droit constant, les supplémentaires supplémentaire effectivement réalisées sont dues. A ce titre, celles-ci doivent être payées.

Les litiges liés au paiement des heures supplémentaires.

Du point de vue de la rétribution, l’article L 3121-36 Code du Travail fixe la rémunération des heures supplémentaires.

Ici, les heures supplémentaires, qui sont en principe effectuées à la demande de l’employeur et en fonction des nécessités de service, posent régulièrement la problématique des heures implicitement acceptées par l’employeur.

En cela, au regard de la jurisprudence constante [13], lorsque les heures supplémentaires n’ont pas été expressément demandées par l’employeur, ce dernier se doit :

  • soit de prouver qu’il a refusé leur accomplissement ;
  • soit que ces heures n’étaient pas indispensables à la réalisation des tâches confiées.

En dernière analyse, eu égard à son pouvoir de direction, l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, doit prouver les heures supplémentaires réalisées - tacitement ou non.

Il y va aussi de l’obligation de sécurité et de protection de la santé physique et mentale des salariés [14] qui pose les jalons, juridiques et éthiques, d’une collaboration loyale. Seule à même d’assurer un épanouissement légitime, assortie d’une croissance durable.

Me. Kebir
Avocat à la Cour - Barreau de Paris
Médiateur agréé, certifié CNMA
Cabinet Kebir Avocat
E-mail : contact chez kebir-avocat-paris.fr
Site internet : www.kebir-avocat-paris.fr
LinkedIn : www.linkedin.com/in/maître-kebir-7a28a9207

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Notes de l'article:

[1Cass. Soc. 10 octobre 2012, n°11-10455.

[2Cass. Soc. 20 mai 1997, n°94-43653.

[3Cass. Soc, 16 mai 1991, n°89-44485.

[4Cass. Soc, 5 novembre 2003, n°01-42798.

[5Cass. Soc. 28-9-2022 n° 21-13.496 F-D.

[6Cass. Soc. 15–12–2021, n° 19–20.978.

[7Article L 3121-33 Code du travail.

[8Idem

[9Article L 3171-4 Code du travail.

[10Article L 3171-4 du Code du travail.

[11Cass. Soc., 6 juil. 2022, n°20-17.287.

[12Article L3171-1 Code du travail.

[13Ex. Cass. Soc, 4 novembre 2021, n° 20-17.250

[14Articles L 42121-1 et suivant du Code du travail.

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