Clause de mobilité et atteinte disproportionnée à la vie personnelle et familiale, que dit la jurisprudence ?

Un salarié, père de deux jeunes enfants, refuse sa mutation de Marseille à Paris en application de la clause de mobilité figurant dans son contrat de travail. Peut-il invoquer une atteinte disproportionnée à sa vie personnelle et familiale

La clause de mobilité permet à l’employeur d’imposer au salarié une modification de son lieu de travail. Cette clause est valable à condition qu’elle définisse de façon précise sa zone géographique d’application. Elle ne doit pas non plus conférer à l’employeur le pouvoir d’en étendre unilatéralement la portée. Le salarié est alors tenu d’accepter la mutation. Son refus constitue une faute pouvant justifier un licenciement.

La Cour de cassation est cependant vigilante sur les modalités de mise en œuvre de la clause. Elle doit être justifiée par l’intérêt de l’entreprise. Son application ne doit pas porter une atteinte disproportionnée au droit du salarié à une vie personnelle et familiale.

La Cour de cassation se montre cependant assez stricte concernant la mutation de parents de jeunes enfants ou d’adolescents.

Mutation à 700 km de son domicile.

Le contrat de travail d’un salarié, comptable dans une société marseillaise spécialisée dans les centres d’appels, comporte une clause de mobilité géographique. Elle prévoit que son lieu de travail pourra être modifié et transféré en tout autre lieu sur le territoire national. Licencié pour avoir refusé sa mutation de Marseille à Paris, il saisit le conseil de prud’hommes.

Le salarié souligne que son nouveau lieu de travail à Paris est très éloigné de son domicile situé à Marseille. Il fait valoir qu’il a manifesté le souhait de pouvoir continuer à travailler à Marseille mais que la société, malgré sa taille et ses implantations, n’a pas procédé à une recherche de reclassement sur un poste équivalent n’impliquant pas un tel bouleversement de ses conditions de vie.

Délai pour déménager.

Il reproche également à la société de ne pas avoir respecté un délai raisonnable pour mettre en œuvre la clause de mobilité. Le courrier de mutation du 6 mai 2011 indiquait que la prise de poste s’effectuerait le 20 juin 2011. Le salarié fait valoir qu’un déménagement de Marseille à Paris ne peut être effectué dans un délai aussi restreint.

Père de deux jeunes enfants.

Enfin, le salarié soutient que du fait de l’éloignement du lieu de travail de son domicile et compte tenu de l’âge de ses enfants à l’époque des faits, soit 8 ans et 4 ans, l’employeur a porté une atteinte disproportionnée au droit à une vie personnelle et familiale normale.

Transfert de la compatibilité à Paris.

La Cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation, ne retient pas ces arguments. Les juges considèrent que la mutation étant justifiée par le transfert des activités comptables de la société à Paris, le changement de lieu de travail a été décidé dans l’intérêt légitime de l’entreprise. La mutation est donc intervenue de façon loyale en application de la clause prévue par le contrat de travail.

Les juges estiment également que le salarié a disposé d’un délai de prévenance raisonnable. Enfin, ils considèrent que le salarié ne produit aucun élément établissant que cette mutation porte une atteinte disproportionnée à sa situation personnelle et familiale. Le salarié ne justifie pas notamment de l’emploi de son épouse en contrat à durée indéterminée ainsi qu’il en fait état. Son licenciement est dès lors jugé fondé sur une cause réelle et sérieuse [1].

Mutation d’une mère d’adolescents.

La Cour de cassation a déjà jugé en février 2018 qu’une salariée ne pouvait s’opposer à une clause de mobilité en invoquant sa situation de mère d’adolescents. Sa mutation de La Rochelle à Toulouse étant justifiée par la réduction considérable et durable de l’activité à laquelle elle était affectée, la salariée ne pouvait la refuser en faisant valoir que son époux travaillait à La Rochelle et qu’elle avait deux adolescents de 12 et 17 ans. Ces circonstances étant jugées "parfaitement ordinaires pour une femme de 43 ans", la cour d’appel a pu considérer que l’atteinte à la vie familiale de l’intéressée était justifiée par la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché, estime la Cour de cassation. Son licenciement pour faute grave suite à son refus de mobilité est jugé justifié [2].

Mathieu Lajoinie
Avocat au barreau de Paris
www.avocat-lajoinie.fr
contact chez avocat-lajoinie.fr

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Notes de l'article:

[1Cass. soc., 26 septembre 2018, n° 17-19.554, non publié.

[2Cass. soc., 14 février 2018, n° 16-23.042, lire sur AEF.

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  • par Lecteur attentif , Le 15 juin 2020 à 17:46

    Merci pour cet article de qualité, fond et forme.

    Je me permets une rectification au sujet de votre toute dernière phrase :
    Si dans l’arrêt 16-23042 du 14/02/2018 il est bien question d’un licenciement initialement pour faute grave, l’arrêt de cour d’Appel attaqué avait considéré le licenciement justifié par une cause réelle et sérieuse (et non pour faute grave).

    La faute grave face à un refus d’application de clause de mobilité est réservée à des cas de refus répétés et non justifiés par la moindre raison sérieuse.

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