Que peut faire un employeur lorsqu’un salarié est auteur de violences conjugales ?

Par Arthur Tourtet, Avocat.

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Explorer : # violences conjugales # vie privée # licenciement # obligations de l'employeur

Personne ne peut tolérer les violences conjugales.
Y compris les employeurs qui apprennent qu’un salarié s’adonne à un tel comportement.
Toutefois, l’employeur n’a pas beaucoup d’options à sa disposition. Il ne lui est pas possible de se substituer à la Justice.

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1) Quand un salarié est présenté comme un auteur de violences conjugales, la prudence avant tout !

Lorsque que l’employeur est informé de l’existence de violences conjugales, il doit impérativement répondre à cette question : est-ce que c’est vrai ?

N’importe quel patron peut se sentir choqué d’apprendre qu’un membre de son équipe serait un conjoint violent.

Et c’est cette indignation qui peut lui faire oublier de vérifier les faits.

L’entreprise n’a pas le droit à l’erreur, même avec les meilleures intentions au monde.

Si un salarié n’a en réalité jamais commis de violences conjugales, il n’hésitera pas à se retourner contre l’employeur et à lui faire payer la moindre mesure défavorable qui aura été prononcée à son encontre.

Lorsqu’un salarié est présenté comme étant un auteur de violences conjugales, l’entreprise peut très bien être destinataire d’une accusation mensongère. L’employeur ne doit pas être l’outil de la vengeance d’un conjoint.

Il ne faut pas non plus sous-estimer le pouvoir déformant des rumeurs. Des gens aiment se rendre intéressants en donnant l’impression qu’ils sont dépositaires d’informations importantes, quitte à exagérer un peu les secrets qu’ils partagent.

Un collègue qui s’est disputé, une seule fois, avec son épouse, peut facilement devenir un machiste alcoolique qui bat sa femme tous les soirs, si l’information a circulé par l’intermédiaire des mauvaises personnes.

Il est donc hors de question de prendre une décision sur un sujet aussi grave, sans un minimum de vérifications.

Le gros problème, c’est que l’employeur ne dispose pas de moyens pour vérifier l’existence de violences conjugales.

Si une procédure pénale a été déclenchée, l’employeur n’y a pas accès, étant donné qu’il n’est pas la victime.

Il est encore plus délicat d’enquêter sur le salarié concerné, étant donné que les faits de violences conjugales ne concernent pas, en principe, la sphère du travail.

L’employeur ne peut demander à un salarié des informations qui sont étrangères à ses aptitudes professionnelles [1].

Un comportement dans la vie privée est difficilement révélateur d’un problème au niveau des aptitudes professionnelles. Surtout si le salarié est totalement irréprochable au travail.

Malheureusement, on peut être la pire personne avec son conjoint et être le salarié modèle avec son patron.

En plus de n’avoir aucun rapport avec les aptitudes professionnelles, une enquête interne sur des violences conjugales serait ouvertement intrusive. Chacun a droit au respect de sa vie privée. L’article 9 du Code civil est sans ambiguïté sur ce point.

Or, de jurisprudence constante, des informations récoltées par l’employeur, sans respect de la vie privée du salarié, sont irrecevables, si jamais l’employeur doit les utiliser afin de justifier la décision qu’il aura prise, dans le cadre d’une procédure contentieuse. Des preuves ne peuvent être récoltées que par un mode de preuve licite [2].

On ne voit même pas comment l’employeur pourrait se procurer un jugement de condamnation pour violences conjugales ayant autorité de la chose jugée, sauf à ce que la victime l’ait spontanément transmis ou diffusé.

Et encore, il n’est pas certain qu’une preuve obtenue dans de telles conditions soit recevable, la diffusion d’une décision de justice, dans une intention malveillante de lui donner une publicité supplémentaire, étant illicite [3].

Il est encore inutile de demander une copie dudit jugement auprès de la juridiction qui a rendu la décision, cette dernière étant, dans le meilleur des cas, anonymisée lorsque c’est un tiers qui demande ladite copie.

Le plus souvent, l’employeur ne pourra se contenter que des aveux du salarié concerné, si ce dernier a l’honnêteté de reconnaître les faits.

2) En principe, l’employeur n’a pas à se mêler d’un fait relevant de la vie privée du salarié.

On vient déjà de l’évoquer, ce qui se passe en dehors du lieu et du temps de travail, relève de la vie privée du salarié.

L’employeur ne peut sanctionner un salarié, parce que ce dernier ne serait pas moralement irréprochable dans sa vie personnelle [4].

La jurisprudence est constante sur ce point, en se fondant sur l’article L1121-1 du Code du travail.

Dans le cas contraire, ce serait la porte ouverte à tous les abus.

Sous prétexte de satisfaire les exigences morales de leur employeur, lesquelles sont forcément subjectives, de trop nombreux salariés seraient soumis au moindre caprice d’une personne privée, simplement parce que cette dernière leur permet de payer les factures.

Même sans aller jusqu’au licenciement, il apparaît encore délicat que l’employeur adopte des mesures préventives contre le salarié prétendument auteur de violences conjugales.

En effet, ce n’est pas parce qu’un salarié a un comportement violent en privé, que cela va forcément générer un risque d’agression dans l’entreprise.

Il est beaucoup trop simpliste de croire que si une personne a déjà frappé quelqu’un, cela va forcément recommencer avec n’importe qui d’autre. Très peu de gens ont la violence dans le sang. Ce qui pousse une personne à donner des coups est quelque chose de profondément complexe. L’employeur ne peut s’improviser expert-psychiatre, surtout envers un salarié qu’il ne connaît peut-être que très peu.

Isoler de ses collègues ou du public, un salarié violent avec son conjoint, pourrait même être interprété comme étant une mesure stigmatisante et vexatoire, en plus d’être une sanction illicite.

Si le salarié est en couple avec une personne qui travaille dans la même entreprise, les faits sont en revanche plus complexes à gérer.

Cette situation, qui reste exceptionnelle, pourrait devenir de moins en moins rare, du fait du développement du télétravail.

Bien entendu, l’employeur peut parfaitement sanctionner et licencier pour faute un salarié qui est agressif ou violent avec une ou un collègue durant le travail.

La question se pose également de savoir si l’employeur a la possibilité de sanctionner un salarié qui battrait sa ou son collègue, en dehors du travail.

Il faudrait être naïf de penser que de telles violences n’auraient aucun impact sur le travail.

Deux salariés ne peuvent se côtoyer paisiblement si des coups pleuvent une fois le service terminé. Dans ce cas de figure précis, le risque que les violences surgissent, dans le cadre du travail, est réel.

L’employeur ne peut négliger ce risque, sachant qu’il a une obligation de sécurité à assurer vis-à-vis de la salariée victime [5].

Le problème est que la jurisprudence est très incertaine sur ce que peut faire l’employeur.

Certaines décisions admettent qu’un comportement ayant un lien avec le travail, malgré le fait qu’il se déroule en dehors de l’entreprise, peut justifier une sanction disciplinaire.

Par exemple, a pu être valablement sanctionné un salarié qui avait harcelé, en dehors du service, une personne rencontrée dans le cadre de ses fonctions, les faits ayant donc un lien avec le travail [6].

A pu encore être licencié pour faute, un salarié ayant commis un accident de la route avec sa voiture de fonction, durant un trajet domicile-travail, au motif que ce comportement se rattachait à la vie professionnelle [7].

Pourtant, la Cour de cassation n’a pas encore précisé le critère qui permettrait, avec clarté, de rattacher à la sphère professionnelle des faits relevant normalement de la vie privée.

Sans clarification de la Cour de cassation sur ce point, il reste très risqué de licencier un salarié maltraitant un autre salarié en dehors du travail.

En guise de compromis, l’employeur pourrait prendre des mesures afin d’éloigner le bourreau de sa victime. Mais la problématique reste la même. Le salarié lésé pourrait objecter que le motif de la décision de l’employeur n’a pas de lien avec le travail.

3) L’employeur doit-il dénoncer les faits de violences conjugales dont il a connaissance ?

L’article 40 du Code de procédure pénale ne s’applique pas aux personnes privées.

Lorsque les faits dont il a connaissance, sont constitutifs d’un délit, l’employeur n’a aucune obligation de les porter à la connaissance du Procureur de la République.

Mais les violences conjugales sont une notion large, pouvant aller jusqu’à désigner des faits criminels.

Lorsque l’employeur a connaissance de faits extrêmement graves, comme par exemple, un viol ou des actes de barbarie, il a l’obligation de les dénoncer. Comme n’importe quel autre citoyen [8].

L’article 434-3 du Code pénal impose également une obligation de dénoncer, à quiconque a connaissance de privations, de mauvais traitements ou d’agressions ou d’atteintes sexuelles infligés à un mineur ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d’une maladie, d’une infirmité, d’une déficience physique ou psychique ou d’un état de grossesse. Cette obligation de dénonciation peut parfaitement concerner des cas spécifiques de violences conjugales.

En dehors de toute obligation, rien n’empêche à l’employeur, en son âme et conscience, d’écrire au Procureur afin de lui signaler les faits de violences conjugales dont il a connaissance.

Après tout, l’employeur n’est ni enquêteur et encore moins juge. La décision la plus sage est peut-être de laisser faire les professionnels.

Lorsque l’on voit une maison en train de brûler, le premier réflexe est d’appeler les pompiers. Pas d’éteindre l’incendie avec un seau d’eau.

Bien entendu, afin de ne pas risquer une condamnation pénale pour dénonciation calomnieuse, l’employeur doit s’interdire toute déformation des faits, même par maladresse.

On ne le répétera pas assez : prudence et mesure doivent être les maîtres-mots.

L’employeur devra porter à la connaissance du Procureur, seulement ce qu’il a vu ou entendu.

Si l’employeur a été informé de violences conjugales par l’intermédiaire d’une autre personne, il doit le mentionner, et surtout ne pas présenter une telle information comme s’il l’avait constaté lui-même.

4) Exceptionnellement, l’employeur peut licencier la personne en cas de trouble objectif.

À supposer que l’employeur ait la preuve qu’un salarié a causé des violences conjugales, et que cette preuve soit licite, il existe un seul cas où l’entreprise dispose d’un moyen de licencier le salarié concerné.

Il s’agit du licenciement pour trouble objectif, lequel ne peut être prononcé dans n’importe quel cas.

Ce n’est pas le comportement du salarié qui cause le licenciement, mais les perturbations occasionnées à l’entreprise [9].

Ce comportement doit être suffisamment grave. En effet, il semble difficile de caractériser un trouble objectif concernant un comportement qui n’est pas répréhensible [10].

Le trouble objectif doit être réel et de nature à rendre impossible la poursuite du contrat de travail sans dégâts pour l’entreprise.

Attention, un trouble objectif n’est jamais une faute disciplinaire [11]. Le licenciement pour trouble objectif ne prive pas le salarié à son droit au préavis ainsi qu’à son droit à l’indemnité légale (ou conventionnelle) de licenciement.

Concernant les violences conjugales, le licenciement sera possible si l’employeur démontre, par exemple, une perte de clientèle ou une atteinte grave et durable à sa crédibilité, notamment du fait de son activité ou des fonctions du salarié.

Pour s’en convaincre, on envisagerait difficilement le maintien d’un salarié auteur de violences conjugales, qui serait cadre dans une association d’aide aux victimes de ce genre de violences.

À l’inverse, si on prend le cas d’un salarié travaillant comme mécanicien dans un garage, et qu’aucun collègue ou client n’est au courant des violences, le trouble objectif va être difficilement démontrable.

Conclusion.

L’employeur dispose de très peu de possibilités d’agir contre un salarié qui fait preuve de violences conjugales.

Plus l’employeur voudra s’improviser justicier, plus son risque de contentieux prud’homal va augmenter.

Si l’employeur est vraiment gêné d’avoir dans ses rangs un auteur de violences conjugales, la rupture conventionnelle reste toujours une option, si l’entreprise est prête à y mettre le prix.

Arthur Tourtet
Avocat au Barreau du Val d\’Oise

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Notes de l'article:

[1C. trav., art. 1222-2.

[2Cass. soc., 26 nov. 2002, n° 00-42.401.

[3Cass. crim., 28 févr. 1989, n° 88-82.355.

[4Cass. soc., 16 déc. 1997, n° 95-41.326 et Cass. soc., 5 mars 2008, n° 06-42.387.

[5C. trav., art. 4121-1.

[6Cass. soc., 19 oct. 2011, n° 09-72.672.

[7Cass. soc., 19 janv. 2022, n° 20-19.742.

[8C. pén. art. 434-1.

[9Cass. soc., 14 sept. 2010, n° 09-65.675.

[10Cass. soc., 17 avr. 1991, n° 90-42636.

[11Cass. ch. mixte, 18 mai 2007, n° 05-40.803.

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