Lequel outil juridique de référence en matière de politiques de prévention, distinguant les actions à mettre en œuvre en fonction de l’effectif de l’entreprise - avec un seuil fixé à 50 salariés, est désormais dématérialisé ; élaboré avec le concours du CSE /CSSCT.
Le DUERP est une obligation légale de l’employeur, en application des dispositions des articles R4121-1 et suivants Code du travail, obligation découlant de la Loi du 31 décembre 1991 [1], transposant la Directive du 12 juin 1989. Invariablement, cette obligation s’impose aux employeurs du secteur privé et ceux relevant de la fonction publique [2].
Formellement, le DUERP retranscrit l’évaluation des risques débouchant, à la fois, sur l’élaboration et la mise en place d’un programme d’actions de prévention concrètes.
Structuré en neuf principes généraux régissant l’organisation de la prévention, déclinés dans le document unique, ceux-ci sont issus de l’article L4121-2 Code du travail :
« Eviter les risques ;
Évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
Combattre les risques à la source ;
Adapter le travail à l’Homme ;
Tenir compte de l’évolution de la technique ;
Remplacer ce qui est dangereux par ce qui ne l’est pas ou par ce qui l’est moins ;
Planifier la prévention ;
Prendre des mesures de protection collective ;
Donner les instructions appropriées aux travailleurs ».
DUERP : outil fondamental de prévention.
Outre son caractère obligatoire, le DUERP revêt une utilité opérationnelle indéniablement efficace, dans le cadre de la prévention de la survenance des AT/ MP [3].
Aussi sert-il de référence identifiée - en sus du règlement intérieur, aux entités de contrôle, à l’instar de l’inspecteur du travail. A l’effet de pouvoir évaluer les mécanismes existants relatifs à l’évaluation / gestion des risques.
Portant sur les questions de santé et de sécurité des travailleurs, le DUERP est intégré au plan d’action tendant à prévenir, en amont, les risques. Et, partant, améliorer les conditions de travail, en harmonie avec la démarche QVCT [4].
DUERP et obligation de sécurité de l’employeur.
Mécanisme de transcription des risques repérés, le document unique est d’autant plus essentiel en ce qu’il fait échos à l’obligation générale de sécurité de l’employeur - obligation de moyens renforcée [5]- instituée par l’article L4121-1 Code du travail.
Abordé par la Jurisprudence, son régime juridique résulte des dispositions de l’article R4121-1 Code du travail, aux termes duquel :
« L’employeur transcrit et met à jour dans un document unique les résultats de l’évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs à laquelle il procède en application de l’article L4121-3.
Cette évaluation comporte un inventaire des risques identifiés dans chaque unité de travail de l’entreprise ou de l’établissement, y compris ceux liés aux ambiances thermiques ».
S’agissant du défaut de sa tenue ou de sa mise à jour, il a été jugé que :
« La carence de l’employeur dans cette évaluation constitue un manquement à son obligation de sécurité ; qu’en se déterminant sans répondre au moyen de Mme [O] invoquant le préjudice que lui avait causé le manquement de l’association …à son obligation d’établir un document unique d’évaluation des risques et d’y mentionner les risques afférents à son emploi » [6].
De telle sorte que, en l’espèce, la résiliation judiciaire du contrat de travail est fondée en l’absence fautive du DUERP.
Pour autant, les manquements y afférents n’impliquent pas l’octroi automatique de dommages et intérêts, en ce que :
« Le défaut d’établissement d’un document unique de prévention des risques professionnels cause nécessairement un préjudice aux salariés.. La cour d’appel, dans l’exercice de son pouvoir souverain, a estimé que la salariée ne justifiait d’aucun préjudice résultant du défaut d’établissement du document unique de prévention des risques » [7].
Autrement dit, il incombe au salarié de rapporter la preuve d’un préjudice résultant des obligations inhérentes au document unique à l’effet d’obtenir réparation.
A cet égard, le manquement à l’obligation de sécurité de résultat s’analyse en une faute inexcusable de l’employeur, aux visas des articles L452-1 Code de la sécurité sociale, L4121-1 et L4121-2 Code du travail :
« Le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le travailleur et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver » [8].
Laquelle est définie comme « une faute d’une gravité exceptionnelle dérivant d’un acte ou d’une omission volontaire, de la conscience du danger que devait en avoir son auteur, de l’absence de toute cause justificative et se distinguant par le défaut d’un élément intentionnel » [9].
De surcroît, la faute inexcusable est présumée pour les salariés titulaires d’un contrat de travail à durée déterminée, les salariés temporaires et les stagiaires [10].
En somme, la tenue et la mise à jour du document unique doivent être regardées comme moyen de prévention à part entière, attaché à l’obligation générale de sécurité de résultat.
Outil de prévention primaire que s’est attelé à réformer la Loi santé au travail du 2 août 2021 [11], entrée en vigueur, en grande partie, le 31 mars 2022.
DUERP modernisé par la loi santé au travail du 2 août 2021.
Plaçant désormais le curseur du côté de la prévention primaire, le nouveau dispositif entourant le DUERP contient des aménagements alliant souplesse, accessibilité et prise en compte accentuée des risques.
Au fond, le DUERP doit déboucher sur un programme annuel de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail, pour les entreprises de plus de 50 salariés. A charge pour l’employeur d’établir une liste d’actions de prévention des risques et de protection des salariés - entreprises de moins de 50 salariés.
Concrètement, la pleine conformité exige que l’employeur ne se borne guère à indiquer quelques actions de prévention. L’analyse, en amont, de leur efficacité et pertinence est requise.
Parmi les innovations majeures, la réforme prévoit l’accès dématérialisé au DUERP. Lequel doit être déposé sur un portail numérique, géré par les organisations professionnelles d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel [12].
Seules les personnes et instances habilitées pourront consulter, déposer et mettre à jour le document unique, au moyen d’une procédure d’authentification.
En ce sens, la dématérialisation obligatoire s’appliquera à compter du 1er juillet 2023 pour les entreprises de plus de 150 salariés et dès le 1er juillet 2024 concernant les entreprises de moins de 150 salariés.
A l’évidence, l’objectif étant de faciliter l’accès à ce document à tous les employés ainsi qu’à toute personne pouvant justifier d’un intérêt [13].
Du reste, telle digitalisation aura pour effet de faciliter les contrôles y afférents.
En outre, est également imposé un délai de conservation du DUERP, dans ses versions successives, pendant une durée maximale de 40 ans.
Du point de vue de son élaboration et de mises à jour, le CSE ainsi que la CSSCT (Commission santé, sécurité et conditions de travail doivent) doivent être consultés.
RPS et DUERP.
Au gré des réformes portant sur la santé au travail, les risques professionnels désignent, à la fois, les risques afférents à la santé mentale et physique des salariés.
Sur ce point, le décret du 5 novembre 2001 [14], et la circulaire du 18 avril 2002 [15] exige que soient intégrés dans le document unique les risques psychosociaux.
Lesquels sont définis comme des « risques pour la santé mentale, physique et sociale, engendrés par les conditions d’emploi et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental » (Rapport Gollac. Voir aussi l’étude de l’Anact [16]).
Il s’ensuit que le DUERP contribue à prévenir et, du même coup, éviter la survenance des risques à caractère professionnel.
A ce titre, il résulte d’une étude réalisée par la DARES [17] relativement aux conditions de travail que les RPS influent sur la santé des collaborateurs et génèrent des dysfonctionnements des organisations. D’où les efforts opérationnels en matière de prévention.
Au fond, le DUERP identifie les risques organisationnels touchant les salariés, les risques qui peuvent se traduire par des pathologies sérieuses tels que le stress excessif ou encore la perte de confiance. Situations susceptibles de causer un burn-out voire la dépression du salarié.
Progressivement, la Jurisprudence intègre la dimension des risques psychosociaux dans les objectifs assignés au document unique. Ainsi, une entreprise a été condamnée faute pour elle d’avoir pris les mesures nécessaires afin de préserver le salarié « du danger auquel il était exposé en raison de la pénibilité avérée de ses conditions de travail et de la dégradation continue de celles-ci » [18].
De surcroît, il est exigé de mettre en œuvre une véritable politique de prévention [19].
En clair, les risques pesant sur la santé mentale sont clairement inclus dans le DUERP, régulièrement mis à jour [20].
Sanctions.
Le défaut de la tenue régulière du document unique est assorti de sanctions :
« Le fait de ne pas transcrire ou de ne pas mettre à jour les résultats de l’évaluation des risques, dans les conditions prévues aux articles R4121-1 et R4121-2, est puni de l’amende prévue pour les contraventions de cinquième classe.
La récidive est réprimée conformément aux articles 132-11 et 132-15 du Code pénal » [21].
Tel que rappelé ci-avant, les irrégularités liées au DUERP sont constitutives de manquements à l’obligation de sécurité de résultat.
Dans son arrêt du 5 mai 2012, la Cour de cassation fait droit à la demande en résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur, au motif que :
« En statuant ainsi sans répondre aux conclusions de la salariée qui soutenait que son employeur ne justifiait pas avoir respecté les dispositions des articles L4121-3 et R4121-1 du Code du travail relatifs à l’établissement d’un document unique d’évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, la Cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences du texte susvisé » [22].
Les mêmes sanctions s’appliqueront si le DUERP est incomplet [23].
Au surplus, outre l’obligation de justifier avoir pris des mesures de protection l’employeur doit également démontrer l’effectivité de ces mesures et leur efficacité :
« En statuant ainsi, alors qu’il résultait de ses constatations une inefficacité des mesures de protection mises en œuvre par l’employeur, la Cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les textes susvisés » [24].
En l’espèce, la faute inexcusable a été retenue sur le fondement de l’inefficacité des mesures prises. Dans le même ordre d’idées, commet un délit d’entrave l’employeur ne mettant pas le DUERP à la disposition du comité social et économique (CSE). La peine maximale pour ce délit étant un an d’emprisonnement et 3750 euros d’amende [25].
Nouveaux organes concourant à l’élaboration du DUERP.
Avant le décret du 31 mars 2022, l’élaboration du DUERP relevait exclusivement de la compétence de l’employeur.
Dans le sillage de la réforme du 2 aout 2021, le CSE est consulté sur le contenu du DUERP et mises à jour, alors que jusque-là son intervention était limitée à l’analyse des risques professionnels [26].
A titre accessoire, d’autres organes y contribuent. En ce sens, le nouvel article L4121-3 du Code du travail prévoit que l’employeur peut également solliciter le concours des personnes suivantes :
« un intervenant en prévention des risques professionnels appartenant au service de prévention et de santé au travail interentreprises ;
le service de prévention d’une caisse de sécurité sociale ;
l’organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics, secteur statistiquement particulièrement frappé par les accidents du travail, et l’agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail ».
DUERP et QVCT.
Entre autres évolutions de la Loi santé au travail précitée, le passage de la QVT à la QVCT.
Au fond, il s’agit de la transposition de l’accord national interprofessionnel (ANI) conclu le 10 décembre 2020 par les partenaires sociaux, en vue de réformer la santé au travail. Du reste, celle-ci contient des mesures ayant pour but de décloisonner la santé publique et la santé au travail.
En outre, les missions des services de santé au travail (SST), devenus les « services de prévention et de santé au travail » (SPST), sont étendues (évaluation et prévention des risques professionnels, actions de promotion de la santé sur le lieu de travail...). S’y ajoute la création du passeport de prévention, prévu par l’ANI (Voir notre article Loi santé au travail : nouveaux leviers de prévention des risques professionnels et du harcèlement).
En définitive, renouvelé et digitalisé, le DUERP est l’instrument juridique de prévention de référence, introduisant, de facto, un rapprochement entre l’obligation de sécurité de résultat et la faute inexcusable de l’employeur. C’est de l’investissement dans le préventif, se substituant au curatif, dont dépend le bien-être professionnel du salarié. Et la croissance de l’organisation.