Le rôle du juriste territorial dans la gestion dynamique du patrimoine immobilier des collectivités territoriales.

Par Timothée Dumortier, Juriste.

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Explorer : # gestion du patrimoine # collectivités territoriales # conseil juridique # cession immobilière

La gestion dynamique du patrimoine (GDP) connaît une acuité significative parmi les collectivités territoriales. Du rapport annuel de la Cour des Comptes datant de 2013 à la presse spécialisée de ces derniers jours, la notion est abordée de manière exponentielle. De prima facie, au-delà des élus, elle intéresse davantage les ingénieurs et techniciens que les juristes territoriaux. Pourtant la dimension juridique de cette démarche qui ne cesse de s’imposer aux collectivités est plus importante qu’il n’y paraît.
Rapide tour d’horizon des raisons qui conduisent à associer la direction des affaires juridiques à la gestion dynamique du patrimoine immobilier.

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Définition et actualité du sujet

La gestion dynamique du patrimoine peut se définir comme une stratégie à plus ou moins long terme de mise en adéquation du patrimoine immobilier d’une collectivité en fonction de ses compétences, de ses besoins tout en rationalisant son implantation, son occupation, son entretien. Le sujet peut être abordé d’une manière suffisamment large pour y inclure les biens dont elle est propriétaire mais également ceux dont elle bénéficie en qualité de locataire.

La résonance conséquente de la gestion dynamique du patrimoine a vocation à prendre de l’ampleur tant la stratégie immobilière s’invite davantage dans les assemblées délibérantes locales. La raison réside dans un environnement financier extrêmement contraint qui oblige ces dernières à rechercher toutes les marges de manœuvre nécessaires pour y faire face. La gestion dynamique du patrimoine est un levier parmi d’autres. De sa mise en œuvre peut naitre une source d’économie mais également des recettes potentielles.
L’enjeu est d’autant plus parlant lorsqu’il est précisé que les collectivités détiennent environ 20% du patrimoine immobilier français et que les seules constructions inscrites à l’actif des bilans des communes, départements et régions atteignaient 242 milliards € en 2008 (rapport annuel 2013 de la Cour des Comptes). Enfin, de manière générale, il est à retenir, qu’un projet réalisé a une durée de fonctionnement telle que les coûts d’exploitation/maintenance représentent plus de 80% du coût global. Ceci étant précisé, les décideurs tendent donc à s’emparer de la question.

Le conseil juridique a un rôle capital à jouer dans ce processus tant la dimension juridique est prégnante.

Déterminer l’appartenance d’un bien au domaine public ou privé lors de l’inventaire

Lorsqu’une collectivité est propriétaire, son patrimoine relève soit de son domaine public, soit de son domaine privé. La définition du domaine public est posée notamment par le Code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) à l’article L. 2111-1. Le CG3P donne une définition a contrario du domaine privé, à savoir que les biens n’appartenant pas au domaine public relèvent du domaine privé (article L. 2211-1). Au moment de l’inventaire, préalable capital dans la mise en place d’une gestion dynamique du patrimoine, il est opportun de déterminer de quel domaine relève chaque bien en vue notamment de déterminer les modalités d’une cession à venir.

Le Conseil d’État par un arrêt en date du 2 novembre 2015 (n°373896) est en ce sens intéressant en ce qu’il fait apparaitre explicitement la démarche pour déterminer si le bien en cause relève du domaine public :
- le bien en question est-il affecté à l’usage direct du public ?
- le bien est-il affecté à un service public et a-t-il fait l’objet d’un aménagement ?
Dans la négative, le bien constitue-t-il un accessoire indissociable d’un bien appartenant au domaine public (théorie de l’accessoire, L. 2111-1 du CG3P) ?

Enfin, si le bien ne répond pas à cette qualification, il convient de rechercher si la théorie de la domanialité publique par détermination de la loi trouve à s’appliquer (pour exemple, le domaine public routier comprend l’ensemble des biens appartenant à une personne publique et affectés aux besoins de la circulation terrestre, L. 2111-14 du CG3P).

La théorie du domaine public virtuel est certes abandonnée depuis l’entrée en vigueur du CG3P le 1er juillet 2006, pour autant elle reste applicable aux biens acquis avant cette date (Conseil d’État, 8 avril 2013, n°363738). Ainsi, cette théorie permet d’inclure dans le domaine public un bien par anticipation. C’est-à-dire en prévision d’une affectation future à l’usage du public ou à un service public.

Ce cheminement juridique est primordial et l’appartenance du bien au domaine public ou privé aura des conséquences quant aux modalités de cessions le cas échant. Ce travail de classification dès le départ permet un gain de temps et d’identifier en amont les biens et la procédure qui s’appliquera en cas de vente ou encore les conditions d’occupation éventuelles pour une valorisation du domaine.

Vigilance lors de la cession d’un bien

Les biens relevant du domaine public sont inaliénables et imprescriptibles (L. 3111-1 du CG3P).
Par conséquent avant toute hypothèse de cession, la désaffectation du bien (lorsqu’un bien n’est plus affecté à un service public ou à l’usage direct du public) puis son déclassement (acte administratif constatant la sortie du domaine public) constituent un préalable indispensable (L. 2141-1 du CG3P). Le déclassement fait donc l’objet d’une délibération. Pour que celle-ci soit exécutoire il faut qu’elle ait été transmise au contrôle de légalité. Si ce formalisme n’est pas respecté, le déclassement du bien n’intervient pas. Ainsi mécaniquement, la vente d’un bien du domaine public doit faire l’objet de deux délibérations, la première constatant le déclassement, la seconde pour décider de la cession.

Bien évidemment il est des exceptions. Pour exemple, les délaissés de voirie. Il s’agit de parcelles qui faisaient préalablement partie du domaine public routier et pour lesquelles existe un déclassement de fait, lorsque des rues, des voies ou impasses ne sont plus utilisées pour la circulation, notamment à l’occasion d’une modification de tracé ou d’un alignement. Le Conseil d’État (CE, 27 septembre 1989, n°70653) précise ainsi qu’une parcelle qui constitue un délaissé de voirie a perdu son caractère de dépendance du domaine public routier. Il s’agit donc d’une exception au principe selon lequel un bien ne peut sortir du domaine public qu’à compter de l’intervention d’un acte administratif constatant son déclassement.

La gestion dynamique du patrimoine lorsqu’elle conduit à des cessions de biens immobiliers pose ainsi bon nombre de questions relevant notamment de la domanialité. L’enjeu de la qualification est important car de celui-ci dépend la légalité de la cession. Mais il est réducteur de cantonner la gestion dynamique du patrimoine aux seules propriétés de la collectivité. Car celle-ci se retrouve aussi en position de locataire. Là encore, le conseil juridique doit être sollicité.

La collectivité territoriale locataire

C’est ici un sujet qui n’est pas ou peu évoqué par la doctrine : la collectivité territoriale comme locataire. Il n’existe pas de régime spécifique en l’espèce garantissant une stabilité locative pour un bien accueillant un service public. La plupart des statuts spéciaux en la matière ne s’appliquent pas de plano aux personnes publiques locataires : le bail d’habitation est, en principe, réservé aux personnes physiques ; le régime du bail professionnel (article 57-A de la loi du 23 décembre 1986) ne peut s’appliquer pour « des activités administratives sans finalité propre par rapport à l’extérieur, donc sans service rendu découlant d’un savoir-faire spécifique au vu duquel une personne déciderait de faire appel à l’entité le mettant en œuvre » (CA Paris, 16e ch. A, 26 avr. 2000) ; le régime du bail commercial entend protéger le propriétaire d’un fonds de commerce, lequel doit être inscrit au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers selon qu’il détient la qualité de commerçant ou d’artisan etc.
C’est donc la liberté contractuelle qui s’exerce. Ainsi, selon la volonté des parties, ce sont les dispositions du Code civil qui s’appliquent et il s’agira d’un bail de droit commun ou alors les parties peuvent conventionnellement se référer aux dispositions des statuts spéciaux cités supra.

Dès lors il appartient à la collectivité de faire preuve de rigueur et de vigilance lors de la contractualisation. La gestion dynamique du patrimoine est donc aussi l’opportunité de revoir les conditions de location. Bien souvent l’effet de l’indexation du loyer est redoutable et un bail indexé sur l’indice trimestriel du coût de la construction peut connaitre une augmentation de plus de 35% en dix ans. L’intérêt de l’insertion d’une clause de plafonnement est évident. Il est observé également des baux sans aucune possibilité de résiliation en cours de contrat ou encore des clauses de « souffrance » (article 1724 du Code civil) imposant au preneur de subir des travaux et pour une durée allant au-delà de quarante jours, sans prétendre à aucune indemnité ni diminution de loyer.
La gestion dynamique du patrimoine est le moment opportun pour réinterroger la relation contractuelle avec les bailleurs.

En définitive, l’immobilier comme levier pour améliorer les finances des collectivités résulte notamment d’une association étroite de la direction des affaires juridiques aux questions patrimoniales. Il s’agit d’un projet transversal pour lequel le conseil juridique constitue un acteur à part entière.

Timothée Dumortier
Juriste

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