Le requérant Monsieur A.L., soupçonné d’avoir tué un policier chinois et recherché par Interpol, a été arrêté et détenu en Russie. Alors qu’il devait être libéré, il est condamné pour séjour illégal et à nouveau détenu de ce chef. Durant quatre mois, il est maintenu dans l’isolement dans un centre de rétention pour étrangers (§§ 7 s.). Il a été relâché sans passeport, celui-ci étant saisi par les autorités, et a été obligé de quitter le pays dans les plus brefs délais au risque d’expulsion en Chine (§ 19).
Le requérant déclare que son renvoi en Chine l’exposerait à la peine de mort et à des traitements inhumains et dégradants, en violation avec les dispositions des articles 2 et 3 de la Convention garantissant respectivement le droit à la vie et la prohibition de traitements inhumains et dégradants. Il allègue aussi que les conditions de sa détention en Russie ont porté atteinte à ses droits garantis par l’article 3.
La Cour s’est penchée sur la question principale suivante : la Russie est-elle dans l’obligation de renoncer au renvoi du requérant afin de protéger la vie de celui-ci selon la Convention européenne des droits de l’homme ?
Le 29 octobre, la Cour a affirmé à l’unanimité qu’une telle obligation découlait des articles 2 et 3 de la Convention et a conclu qu’une extradition vers la Chine exposerait le requérant à un risque réel de d’être condamné à la peine de mort ensuite d’un procès pénal pour meurtre. La Cour estime ainsi important de maintenir les mesures provisoires de l’article 39 de son règlement - mesures déjà édictées – afin d’interdire le renvoi du requérant jusqu’à ce que son arrêt devient définitif (§ 101). La Cour a également constaté une violation de l’article 3 de la Convention tant par la détention du requérant en isolement dans le centre de rétention pour étrangers que par les conditions de sa détention ultérieure dans un poste de police (§§ 82 ; 91).
S’agissant de l’impossible justification de cette expulsion au regard des dispositions de la Convention, y compris celles non ratifiées par la Russie, voici ce que dit la Cour et ceci est le principal intérêt de cet arrêt :
Lors de la rédaction de la Convention à la fin des années 1940, la peine de mort n’était pas considérée comme violant les standards de droit international. C’est la raison pour laquelle l’article 2 qui garantit le droit à la vie contient l’exception d’une sentence capitale. Toutefois, la position du Conseil de l’Europe et de la Cour a considérablement changé sur ce point : un premier protocole, le Protocole n° 6, avait pour objet l’abolition de la peine capitale en temps de paix en 1983. L’interdiction absolue est intervenue avec le protocole n° 13 du 3 mai 2002. Dès lors, la Cour énonce dans une jurisprudence constante que la peine capitale n’est plus acceptable en vertu de l’article 2 de la Convention qui doit être regardé comme modifié par les protocoles n° 6 et 13 et donc vidé de toute possibilité d’exécution capitale (Öcalan c. Turquie, 12 mai 2005, § 163 ; Al-Saadoon et Mufdhi c. Royaume-Uni, 2 mars 2010, § 120).
L’interdiction absolue de la peine de mort et de la torture en Europe implique également la reconnaissance de responsabilité des États membres dans les cas où ils expulsent ou extradent des personnes envers des États tiers où celles-ci encourent un risque réel de se voir infliger la peine de mort ou un traitement contraire à l’article 3 (Soering c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, § 111 ; Hakizimana c. Suède, 27 mars 2008, déc.)
Toutefois, la Russie est à ce jour le seul des 47 États membres qui n’a pas ratifié les protocoles n° 6 et 13. Elle les a pourtant signés et a surtout institué un moratoire sur la peine de mort, de sorte que personne n’a été condamné à cette peine ou exécuté depuis 1996 (§ 63) ; moratoire reconfirmé par la Cour constitutionnelle en 2009.
Du chef de cette pratique russe sans ambiguïté tendant à abolir la peine capitale, la Cour a retenu dans son arrêt du 29 octobre 2015 que sa jurisprudence en la matière était applicable à la Russie (§ 64) et qu’un renvoi en Chine du requérant violerait donc les dispositions de la Convention (§ 66).