Jugement des terroristes belges par les juridictions pénales irakiennes, une problématique européenne.

Par Ali Bounjoua, Etudiant.

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Explorer : # peine de mort # droits de l'homme # terrorisme # extradition

Ce présent article a pour objectif d’analyser le respect des jugements à une peine de mort par les juridictions irakiennes à l’encontre des combattants terroristes belges à la Convention européenne des droits de l’Homme et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme.
Serait-ce « légal » pour la Belgique de laisser la compétence à ces juridictions régionales pour le jugement de ses nationaux, auteurs d’infractions terroristes ?

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Actuellement, plus de 300 individus, dont une centaine d’étrangers, ont été condamnés à mort en Irak, et autant d’autres à la prison à perpétuité, pour appartenance à l’EI, selon une source judiciaire [1].

Plus particulièrement, un ancien combattant belge de Daech a été condamné à la peine de mort en Irak [2] selon La Libre [3] : l’Anversois Bilal Al Marchohi qui a plaidé qu’en tant que citoyen belge, il devrait être poursuivi devant un tribunal de son pays. Ainsi que Tarik Jadaoun, qui avait rejoint Daech en 2014 a lui aussi été condamné à mort en Irak en mai 2018. Les Affaires étrangères ont rappelé au gouvernement irakien l’opposition de la Belgique à la peine de mort concernant ses citoyens [4].

Ainsi cela nous amène à nous questionner sur la compatibilité de telles condamnations à l’égard des combattants belges, si elles venaient à s’exécuter, aux articles 2 (droit à la vie) et 3 (interdiction de la torture) de la Convention européenne des droits de l’Homme (ci-après CEDH).

Le droit à la vie, prévu à l’article 2 de la CEDH, ne serait pas incompatible avec la peine de mort pour autant que la peine soit prononcée conformément à la loi. Cependant tous les États membres de l’UE et du Conseil de l’Europe ont aboli la peine de mort. Comme l’a indiqué Federica Mogherini et Thorbjørn Jagland, à l’occasion de la Journée européenne et mondiale contre la peine de mort le 10 octobre 2018, « l’abolition de la peine de mort, en droit ou dans la pratique, est une condition préalable à l’adhésion au Conseil de l’Europe, et l’interdiction absolue de la peine de mort, quelles que soient les circonstances, est consacrée tant par les protocoles n° 6 et n° 13 à la Convention européenne des droits de l’homme que par la charte des droits fondamentaux de l’UE ».

C’est donc en vertu des articles 1 et 3 du protocole n°6 à la CEDH que la Belgique ne peut prononcer ni exécuter la peine de mort (sauf en cas d’exception prévue à l’article 2 du protocole). En effet, l’article 1er dudit protocole dispose que « la peine de mort est abolie. Nul ne peut être condamné à une telle peine ni exécuté ». Sachant que la Belgique a ratifié le protocole le 29 septembre 1999.

L’arrêt Al Nashiri c. Pologne de la Cour européenne des droits de l’Homme (ci-après la Cour) du 24 juillet 2014, va en ce sens en invoquant la violation de l’article 2 de la Convention en combinaison avec le protocole n°6 à la Convention, rappelant que « le fait que l’imposition et l’usage de la peine de mort est une négation des droits fondamentaux a été reconnu par les États membres du Conseil de l’Europe » [5].

Ce sont les individus qui relèvent de la juridiction des États parties à la CEDH qui peuvent jouir des droits prévus par la Convention [6]. Les combattants terroristes belges détenus en Irak relèvent toujours des juridictions pénales belges. Par conséquent, ils jouissent assidûment des droits prévus par la CEDH notamment l’article 2 (le droit à la vie).

De plus, tout État européen lié par le protocole n°6 (et le protocole n°13) à la Convention peut voir sa responsabilité engagée s’il éloigne une personne vers un pays où elle risque d’être condamnée à mort et exécutée [7].

Ceci démontre que le droit à la vie, tel que prévu à l’article 2 de la CEDH, continue à s’appliquer au bénéfice d’une personne liée à l’État ayant ratifié le protocole n°6 même lorsque celle-ci est sur le territoire d’un État étranger où son droit à la vie risque d’être violé.

La deuxième problématique que l’on peut rencontrer en l’espèce est le respect à l’article 3 de la CEDH qui prévoit le droit de ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants. En effet, il faut être particulièrement attentif aux conditions de détention vécues par les détenus belges en Irak ainsi que l’attente dans le « couloir de la mort » après la prononciation de la peine de mort par les juridictions régionales.

Il convient de noter que la Cour a énoncé dans son arrêt Irlande c. Royaume-Unis de 1978 que « la Convention prohibe en termes absolus la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, quels que soient les agissements de la victime » [8].

Un autre arrêt de la Cour permet de mettre en lumière l’application de l’article 3. Dans sa jurisprudence Soering, relative à un individu détenu au Royaume-Uni et dont l’extradition était requise par les États-Unis du fait d’un crime de droit commun passible de la peine de mort, la Cour avait jugé que « le syndrome du couloir de la mort » constituait un traitement contraire à l’article 3 de la Convention et qu’« un État contractant se conduirait d’une manière incompatible avec les valeurs sous-jacentes à la Convention (…) s’il remettait consciemment un fugitif -pour odieux que puisse être le crime rapproché- à un autre État où il existe des motifs sérieux de penser qu’un danger de torture menace l’intéressé » [9].

Dans un autre arrêt de la Cour, l’arrêt Trabelsi en 2014, le requérant s’opposait à son extradition vers les États-Unis où il était poursuivi pour des infractions terroristes punissables de réclusion à perpétuité mais avait été extradé par la Belgique malgré les mesures provisoires prononcées par la Cour [10]. Appliquant sa jurisprudence Vinter selon laquelle, pour être conforme à l’article 3, une peine privative de liberté doit ne pas être nettement disproportionnée et être, au surplus, compressible, la Cour a jugé que la peine susceptible d’être prononcée aux États-Unis n’était pas conforme à l’article 3 et par conséquent a conclu que la Belgique avait violé l’article 34 puisqu’elle avait délibérément ignoré les mesures provisoires annoncées [11].

Dans l’affaire Saadi [12], le Royaume-Uni avait estimé qu’en cas d’expulsion pouvant conduire à un traitement contraire à l’article 3, ce n’est pas directement l’État signataire qui inflige ces traitements, mais un État tiers. Dès lors cette distance avec l’interdiction initiale de l’article 3 qu’est la protection par ricochet permettrait d’introduire un élément de conciliation dans le respect de l’interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradant [13]. Face à cet argument la Cour a répondu qu’il « n’est pas possible de mettre en balance le risque de mauvais traitements et les motifs invoqués pour l’expulsion afin de déterminer si la responsabilité d’un État est engagée sur le terrain de l’article 3, ces mauvais traitements fussent-ils le fait d’un État tiers ». Ainsi l’argument du Royaume-Uni sur l’applicabilité de l’article 3 en cas d’expulsion n’a pas été retenu par la Cour.

En conclusion, le jugement des combattants terroristes belges (et européens de manière générale) par les juridictions pénales irakiennes à une peine de mort ou à une peine d’emprisonnement à perpétuité incompressible seraient contraires à la CEDH sur base de la jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’Homme car ils restent bénéficiaires des droits prévus par ladite Convention.
Mais est-ce que pour autant une « obligation d’extradition active » incombe à la Belgique ?

Ali Bounjoua, chercheur doctorant au Centre de droit européen de l\\’ULB

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Notes de l'article:

[1Article du journal Le Monde à lire ici.

[2Article 406 du Code pénal irakien.

[3Par Belga (2019, 18 mars). "Un deuxième combattant belge de l’EI condamné à mort en Irak". La Libre belgique, sur le site (Consulté le 13 avril 2019).

[4Ibidem.

[5Cour EDH, arrêt du 24 juillet 2014, Al Nashiri c. Pologne, req. N° 28761/11, § 577.

[6Article 1er de la CEDH.

[7Cour EDH, décision du 15 mars 2001, Ismaili c. Allemagne, req. N° 58128/00.

[8Cour EDH, 18 janvier 1978, Irlande c. Royaume-Uni, A.25, § 163.

[9F. Bernard, « La Cour européenne des droits de l’homme et la lutte contre le terrorisme », Rev. Trim. D.H., 2016, pp. 46-47.

[10Cour eur. D.H., Gde Ch., Vinter et autres c. Royaume-Uni, req. n° 66069/09, 9 juillet 2014.

[11Cour eur. D.H., Gde Ch., Trabelsi c. Belgique, req. n°140/10, 4 septembre 2014.

[12Cour EDH, Gde ch., 28 février 2008, Saadi c. Italie, §§ 120-122.

[13Tinière, R., « Les jurisprudences européennes et la lutte contre le terrorisme » in La conciliation des droits et libertés dans les ordres juridiques européens, Bruxelles, 2012, p.207.

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