Une université peut-elle refuser une inscription en Master 2 ?

Par Catherine Taurand, Avocat.

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Explorer : # admission en master # code de l'éducation # sélection des étudiants # tribunal administratif

Entre août et septembre 2015, de nombreux juges des référés des tribunaux administratifs ont suspendu les refus d’admission en Master 2 et, ainsi, contraint les universités concernées à inscrire les étudiants non admis.

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Le motif retenu était à chaque fois le même : l’absence du décret prévu à l’article L. 612-6 du Code de l’éducation créait un doute sérieux quant à la légalité de la décision.

En effet, l’article L.612-6 du Code de l’éducation prévoit que :
« L’admission dans les formations du deuxième cycle est ouverte à tous les titulaires des diplômes sanctionnant les études de premier cycle ainsi qu’à ceux qui peuvent bénéficier des dispositions de l’article L. 613-5 ou des dérogations prévues par les textes réglementaires.
La liste limitative des formations dans lesquelles cette admission peut dépendre des capacités d’accueil des établissements et, éventuellement, être subordonnée au succès à un concours ou à l’examen du dossier du candidat, est établie par décret après avis du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche. La mise en place de ces formations prend en compte l’évolution prévisible des qualifications et des besoins, qui font l’objet d’une évaluation régionale et nationale
 ».

Or, à ce jour, ce décret n’a jamais été pris.

Le 3 août 2015, le juge des référés du Tribunal administratif de Lyon avait rejeté la requête au double motif que :
• l’article L. 612-6 du code de l’éducation ne concernait que l’admission en Master au stade de la première année
• et que l’article 11 de l’arrêté du 25 avril 2002 permettait au responsable du Master de choisir ses étudiants.

Cependant, les juges des référés des tribunaux administratifs de Grenoble, Nantes, Bordeaux, Montpellier, Nice, Orléans ont suspendu les refus d’admission en Master 2.

Et les juges des référés de Lyon et Paris, après avoir refusé de suspendre ces décisions, ont finalement plié car il n’appartient au juge des référés mais seulement au juge du fond d’examiner si l’article L. 612-6 du Code de l’éducation ne concerne que l’admission en Master au stade de la première année et si l’article 11 de l’arrêté du 25 avril 2002 permet au responsable du Master de choisir ses étudiants en deuxième année.

Les décisions au fond des tribunaux administratifs (dont aucune n’est intervenue à ce jour sur la question) vont être très intéressantes à suivre.

Ils vont en effet trancher la question de savoir si seul l’accès à la première année de Master est concerné par l’article L. 612-6 du Code de l’éducation, alors qu’il est permis de considérer que le Master forme un tout indivisible, un cycle.

En effet, l’article L. 612-1 du Code de l’éducation prévoit : « Le déroulement des études supérieures est organisé en cycles. »

Et, « au cours de chaque cycle sont délivrés des diplômes nationaux ou des diplômes d’établissement (…). Les grades de licence, de master et de doctorat sont conférés respectivement dans le cadre du premier, du deuxième et du troisième cycle. ».

Déjà en 1994, le Conseil d’Etat avait raisonné en termes de cycles pour conclure que l’admission en maîtrise ne peut a priori faire l’objet d’un processus sélectif puisque la maîtrise n’est que le prolongement de la licence et sanctionne la scolarité du second cycle ouvert à tous les titulaires du D.E.U.G [1].

Il sera également intéressant de vérifier si les juges du fond statuent sur la question de savoir si l’article 11 de l’arrêté du 25 avril 2002 qui permet au responsable du Master de choisir ses étudiants est applicable aux Masters.

En effet, cet arrêté a été rédigé à une époque où le Master appartenait au troisième cycle, alors que, depuis 2007, il est constant que le Master appartient au second cycle.

Ainsi, comme l’a déjà jugé le tribunal administratif de Bordeaux en 2013 : « (…) cet arrêté, qui prévoit dans son article 2 que le master s’inscrit dans le troisième cycle, est antérieur à la réforme des études supérieures issue de la loi du 10 août 2007 qui a inclus les masters au sein du deuxième cycle, (…) ; qu’ainsi, ces dispositions ne sauraient servir de fondement légal au refus d’inscription (…)  ».

Catherine Taurand
Avocat à la Cour

cabinet chez taurand-avocats.fr
https://taurand-avocats.fr/

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Notes de l'article:

[1CE 27 juin 1994 Université Claude Bernard n°100111.

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Discussions en cours :

  • par yves LE DUC , Le 7 octobre 2015 à 14:50

    Le raisonnement des juges fondé sur la notion de cycle est intéressant.
    Toutefois dans l’arrêté du 27 avril 2002, l’accès au master 2 semble d’abord conditionné à une continuité des études par domaine ( voir alinéa 1 de l’article 11 ).
    Ce distinguo pourrait bien être finalement au coeur de la légitimité des décisions d’orientation/sélection des universités.

  • Dernière réponse : 6 octobre 2015 à 16:51
    par Courtois Gilles , Le 6 octobre 2015 à 16:36

    Maître,

    J’éprouve, même si les décisions sont juridiquement fondées, quelques réticences face à une telle jurisprudence ;

    Il existe, à mon sens, un risque évident de dévalorisation du M2 litigieux et plus globalement des M2 à l’égard des employeurs si une telle formation perd de son "prestige".

    Un étudiant admis en M2, par ce procédé, peut il espérer mener une année "normale" sans risquer de subir de la part du corps enseignant des remarques désobligeantes, pressions ?

    Bien à vous

    • par catherine taurand , Le 6 octobre 2015 à 16:51

      Monsieur,

      je comprends parfaitement votre appréhension et les universités se posent également beaucoup de questions, même si elles sont de nature différente de la vôtre.
      Cette jurisprudence, si elle devait être confirmée au fond, devrait vraisemblablement provoquer l’adoption du décret prévu à l’article L. 612-6 du code de l’éducation pour mettre un terme à la situation.

      Bien à vous,

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