Le vrai-faux du divorce amiable sans juge.

Par Michèle Bauer, Avocat.

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Explorer : # divorce par consentement mutuel # profession d'avocat # notaire # intérêt de l'enfant

L’amendement du 30 avril 2016 a été voté par la Commission des lois et a été discuté 18 Mai 2016.

Il prévoit une nouvelle forme de divorce par consentement mutuel qui prévoit un divorce amiable sans juge, négocié par les avocats et enregistré par le notaire : « cette nouvelle catégorie de divorce a vocation à s’ajouter aux cas actuels de divorce, et à se substituer à la majorité des cas de divorce par consentement mutuel. »

Cet amendement proposé en douce par le gouvernement n’est finalement pas passé inaperçu. Des voix se sont élevées contre ce divorce amiable sans juge et contre cette privatisation de la justice : juges (Syndicat de la Magistrature), associations de Famille, associations féministes, universitaires, syndicats d’avocats et avocats dont je fais partie.

Ces deux dernières semaines, des analyses rapides, erronées et des informations fausses ont été diffusées.

D’où l’idée de ce vrai-faux du divorce amiable sans juge, sous forme d’une foire aux questions.

-

Le divorce amiable sans juge a été adopté, je peux divorcer devant notaire aujourd’hui ?

FAUX - Le divorce amiable n’est pas encore en vigueur. L’amendement a été proposé par le gouvernement, il a été adopté en Commission des lois, il en sera débattu le 18 mai 2016. Le divorce amiable sans juge n’est pas « entré » dans la loi à ce jour et vous ne pouvez pas divorcer sans juge devant notaire et avec deux avocats.

Le divorce amiable sans juge sera plus rapide qu’avec un juge ?

VRAI ET FAUX - En effet, un divorce amiable n’est pas forcément un divorce simple. La convention de divorce présentée à l’homologation est souvent le fruit de négociations qui peuvent être longues. Aussi, tout dépend de ce que l’on fait « entrer » dans le délai : est-ce le délai entre le moment où l’on dépose la requête et le moment où l’audience a lieu ou est-ce le délai entre le début des négociations pour le divorce et l’audience ? Le délai dépend aussi des juridictions, il ne sera pas le même à Bobigny et à Bordeaux. A Bordeaux, entre le dépôt de la convention de divorce et la tenue de l’audience, il se passe de 2 à 3 mois, 4 mois maximum. Dire que le divorce sans juge sera plus rapide est péremptoire. Tout dépendra des dossiers et de la difficulté de ces derniers.

Le divorce amiable sans juge se fera sans les avocats et qu’avec un notaire ?

FAUX - Le divorce amiable sans juge se fera avec deux avocats obligatoirement, le notaire ne fera qu’enregistrer et ne contrôlera pas l’équilibre de la convention de divorce.

Mon divorce amiable ne me coûtera que 50 euros ?

FAUX - L’enregistrement de l’acte au rang des minutes du notaire vous coûtera 50 euros en plus des honoraires de vos avocats. Rien ne s’oppose à ce que ce montant soit augmenté, il s’agit d’un impôt complémentaire et du prix de la privatisation de la justice, aujourd’hui, vous ne réglez pas le juge, le service public de la justice est gratuit, vous le payez avec vos impôts. Rien n’est mentionné dans l’amendement sur le paiement de cet enregistrement par les bénéficiaires de l’aide juridictionnelle, en seront-ils dispensés ?

Le divorce amiable sans juge est un divorce qui sera plus cher ?

VRAI - Les époux devront payer deux avocats, ils ne pourront plus avoir recours au même avocat. En effet, les avocats seraient garants de l’équilibre de la convention, il est nécessaire que deux avocats négocient la convention pour assurer cet équilibre.

Le divorce amiable sans juge sera plus simple ?

FAUX - Le divorce par consentement mutuel sera toujours formalisé par une convention de divorce négociée entre les parties, seule différence, le remplacement du juge par un notaire.

L’intérêt des enfants sera préservé dans le divorce amiable sans juge parce qu’ils pourront demander à être entendu ?

FAUX - Pour être entendu encore faut-il que l’enfant en soit informé, par qui ? Par ses parents, qui en pratique auront un seul but, divorcer rapidement et qui par conséquent n’informeront pas leur enfant. Admettons que l’enfant soit au courant du divorce et souhaite être entendu, vers qui dirigera-t-il sa demande, le juge n’existe plus, s’il écrit au tribunal, les avocats ne seront jamais informés de sa demande d’audition. Cette disposition n’est en aucun cas une protection de l’intérêt de l’enfant, elle a été intégrée dans l’amendement comme indiqué dans l’exposé sommaire «  afin de respecter les engagements internationaux de la France ». Cependant, il est légitime de s’interroger sur le respect des engagements internationaux dans l’hypothèse de mariages binationaux : le juge doit contrôler et vérifier la compétence internationale et la loi applicable, que se passera-t-il sans juge ?

Les garants de l’intérêt de l’enfant sont avant tout les parents, il n’y a donc aucune raison de s’inquiéter ?

FAUX - La notion d’intérêt de l’enfant n’est pas l’addition des intérêts des deux parents. Un exemple : des parents souhaitent divorcer à l’amiable, ils prévoient pour un enfant âgé de 2 ans une résidence en alternance qui s’effectuerait de la manière suivante : le lundi chez la mère, le mardi et le mercredi chez le père, le jeudi chez la mère, le vendredi matin chez le père, le vendredi après midi chez la mère jusqu’au samedi matin puis le samedi après midi chez le père, le dimanche matin chez la mère et le dimanche après midi chez le père. Est-ce que ce mode de résidence est vraiment dans l’intérêt de l’enfant et pas plutôt dans l’intérêt des parents ? Le juge est le seul garant en matière de divorce de l’intérêt de l’enfant.

En pratique, les juges ne servent à rien, 99% des conventions sont homologuées, il serait inutile de passer devant un juge ? Il est préférable de mobiliser les juges sur des « vrais » dossiers ?

FAUX - C’est bien parce que le juge est présent, telle une épée de Damoclès, que les conventions sont homologuées. Les avocats, lorsqu’ils négocient les conventions de divorce ont une clef pour aboutir. Si un des époux souhaite imposer des conditions inacceptables, il est possible pour l’avocat de brandir son épée de Damoclès, le juge qui risque de ne pas homologuer une résidence alternée farfelue car ce n’est pas dans l’intérêt de l’enfant par exemple. En l’absence de juge, des conventions déséquilibrées pourront être enregistrées et les parents devront saisir le juge aux affaires familiales. Les tribunaux ne seront pas désengorgés bien au contraire, les contentieux après divorce risquent d’augmenter.

Pour lire l’amendement du 30 avril 2016

Michèle BAUER

Avocate à la Cour

Généraliste, titulaire d\’un certificat de spécialisation en droit du travail

Blog : http://michelebaueravocatbordeaux.fr

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  • par Marc , Le 21 juin 2016 à 12:20

    Bonjour,

    Ancien avocat, je suis d’un avis différent.
    Nous parlons ici de divorce par consentement mutuel.
    Dire que l’un des 2 conjoints pourrait imposer sa vision "farfelue" du divorce, voire nuire à l’intérêt des enfants, c’est faire peu de cas du rôle des avocats me semble-t-il.
    La pression sur les conseils sera en revanche plus importante et l’exigence de professionnalisme accentuée c’est certain. Mais n’est-ce pas leur rôle que de faire prendre conscience de ce qui pourrait se produire à l’avenir et que le client ne voit pas ; ou des conséquences à terme de telle ou telle formulation ?
    Si l’une des 2 parties estime que les demandes sont inacceptables, elle peut à tout moment sortir de la procédure de consentement mutuel et le juge retrouvera alors toute sa place.

    Il se peut en effet qu’une certaine proportion de couples voient le pouvoir (de nuisance) de l’un sur l’autre se transformer en convention déséquilibrée.
    Mais n’est-ce pas déjà le cas aujourd’hui car le juge n’a pas nécessairement tous les éléments en main pour déterminer si l’équilibre souhaité est ou sera respecté ?

    Au final, j’ai pour ma part le sentiment que nombre de cas simples seront ainsi traités de façon paisible et rapides, évitant l’ambiguïté que l’on peut rencontrer lorsque l’un ou l’autre veut refaire (ou a refait) rapidement sa vie par exemple.

    Enfin, gardons à l’esprit que le passage devant un juge n’est pas quelque chose d’anodin.
    On peut le comprendre lorsqu’il y a litige, conflit, incapacité à se mettre d’accord. Ou lorsque l’on est mis en examen.
    Mais lorsque l’on veut simplement rompre un contrat à l’amiable, cet environnement très impressionnant est-il indispensable ?

  • Dernière réponse : 24 mai 2016 à 10:20
    par Crozat , Le 23 mai 2016 à 21:27

    Avez vous bien lu. Il est écrit que l’enregistrement de l’acte notarié coûtera 50 €. Il est bon de se souvenir que la notion d’enregistrement est d’ordre fiscal, les actes notariés étant soumis à des droits d’enregistrement. Que faut il en conclure ? Le droit d’enregistrement sera de 50 € ? Si les mots on un sens c’est ainsi qu’il faut comprendre l’exposé des motifs. Cela ne préjuge donc pas du montant des émolument du notaire, sachant que personne ne pourra prétendre que ces fameux 50€ sont en relation avec le travail qui sera fait par le notaire ( rédaction d’un acte, vérification des pièces a annexer, conservation de l’acte pendant 75 ans)

    • par Michèle BAUER , Le 24 mai 2016 à 10:20

      le notaire ne rédigera pas d’acte ce sont les avocats qui rédigeront

      et l’amendement parle de "coût maîtrisé" comme vous avez pu le lire et précise que l’enregistrement coûtera 50 euros

      en l’état du texte nous en savons pas plus

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