Alors que le Gouvernement a choisi de limiter les déplacements hors du domicile, huit millions de personnes sont en situation de « mal-logement » selon la Fondation Abbé Pierre. Ce néologisme comprend différentes situations : les cas de surpeuplement, d’hébergements transitoires, les expulsions imminentes ainsi que les personnes à la rue.
La crise de la Covid-19 a par ailleurs accentué les difficultés économiques des ménages les plus précaires. La part des revenus consacrée au loyer augmente inexorablement.
De plus, les personnes sans domicile fixe sont les plus exposées à la Covid-19.
La crise sanitaire questionne aujourd’hui l’effectivité du droit au logement, ainsi que les limites des procédures ordinaires. Des mesures extraordinaires apparaissent nécessaires dans ce contexte particulier.
Les fondements du droit au logement, inadaptés à la crise de la Covid-19.
Le droit au logement a été consacré dans l’ordre interne. Il a été reconnu comme « objectif à valeur constitutionnell » par une décision du Conseil constitutionnel en 1995.
Dans sa décision dite « Fofana » du 10 février 2012, le Conseil d’État a consacré le droit à l’hébergement d’urgence tel que prévu par l’article L345-2-2 du Code de l’action sociale et des familles comme une liberté fondamentale. Par conséquent, l’Etat a une obligation de moyens concernant l’effectivité de ce droit.
Dans son contrôle, le juge administratif doit tenir compte des « diligences accomplies par l’administration » et « des moyens dont elle dispose » selon la décision précitée.
Des procédures judiciaires ont été mises en place pour garantir le droit au logement [1], mais le DALO requiert des délais administratifs conséquents, inadaptés en cette période de crise.
Le DAHO se heurte à l’engorgement des centres d’hébergement et l’impossibilité matérielle de bénéficier du 115.
Les mesures exceptionnelles mises en place.
Des mesures spéciales ont été mises en place pour favoriser l’accès au logement pendant le confinement.
La trêve hivernale a été prolongée jusqu’au 10 juillet 2020, date qui signe la fin du premier état d’urgence sanitaire.
Anticipant la fin de la trêve hivernale, le Premier ministre Jean Castex a annoncé l’extension de l’aide de 150 euros par mois versée par Action Logement [2]. La durée maximale de l’aide a été allongée de 2 à 6 mois. Par ailleurs, les critères d’éligibilité ont été assouplis [3]. Les charges de logement des bénéficiaires doivent représenter a minima le tiers de leur budget, contre 40% depuis le lancement du dispositif.
Par ailleurs, 1 500 places d’hébergement et d’accompagnement social seront financées pour des femmes sans abri sortant de la maternité avec leur enfant.
Toutefois, la trêve hivernale a repris à sa date habituelle du 1er novembre, alors que l’état d’urgence sanitaire était réinstauré le 17 octobre 2020.
La ministre déléguée au Logement Emmanuelle Wargon souhaite aussi améliorer l’accompagnement social vers le logement. Le recrutement de 150 personnes au sein des Services intégrés de l’accueil et de l’orientation (plateformes départementales de coordination et de régulation du secteur de l’accueil, de l’hébergement et d’accompagnement vers l’insertion et le logement des personnes sans domicile) va ainsi être effectué pour un budget de 8 millions d’euros supplémentaire par an.
L’intermédiation locative bénéficiera de 5 millions d’euros supplémentaires par an à partir de 2020, pour permettre aux personnes précaires d’accéder au logement privé.
Ces mesures ont été prises pour compléter le plan France Relance, dont le Gouvernement souligne qu’il représente un investissement de 100 millions d’euros pour développer une offre adaptée aux besoins des personnes sans domicile et pour rénover les structures collectives existantes. De nombreux sans-abris sont par ailleurs pris en charge dans des hôtels.
Si les chiffres des plans d’aide paraissent impressionnants, ils sont en réalité insuffisants pour répondre aux enjeux posés par la crise de la Covid-19 affectant huit millions de personnes mal logées en France. Des mesures complémentaires doivent être mises en œuvre pour répondre à leurs besoins face à la pandémie.
Les mesures complémentaires nécessaires.
La réquisition massive de locaux peut être une solution pour fournir des hébergements d’urgence. Cette mesure concernerait les logements vacants – des meublés touristiques type AirBnB, hôtels, logements et bureaux inoccupés.
Le Conseil d’État a déjà été saisi en référé liberté par plusieurs associations sur le traitement des sans-abris sous Covid-19 afin « d’ordonner pour ce faire la réquisition des appartements en location meublée touristique et chambres d’hôtels vacants lorsque le contingent d’hébergement individuel géré par les prestataires de l’Etat est insuffisant » [4].
La Haute juridiction a rejeté leurs demandes dans une ordonnance rendue le 2 avril 2020 car
« les capacités d’hébergement ainsi mobilisées n’ont jamais été aussi importante ».
Elle a aussi relevé que
« l’administration fait valoir qu’elle poursuit ses efforts pour les accroître encore à brève échéance ».
Selon le Haut comité pour le logement des personnes défavorisées, cette décision s’inscrit dans l’appréciation très restrictive du droit à l’hébergement par les juges administratifs [5].
En effet, le Conseil d’État privilégie plutôt le critère de l’obligation de moyens incombant à l’Etat. L’obligation de résultat apparaît secondaire.
Cette position jurisprudentielle prend le contrepied du principe d’inconditionnalité du droit à l’hébergement clairement affirmé par les textes [6]. En pratique, le recours à la réquisition prévu à l’article L2215-1 du Code général des collectivités territoriales est limité malgré la crise sanitaire. Pourtant, les préfets ont le pouvoir de réquisitionner des biens
« en cas d’urgence, lorsque l’atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques l’exige » [7].
Des gymnases « pouvant remplir immédiatement les conditions d’un hébergement digne pour ces populations » ont néanmoins été aménagés [8]. Il est regrettable que cette pratique reste aussi restreinte durant la pandémie.
Un vrai moratoire des loyers et des factures d’énergie permettrait aussi de minimiser l’ampleur de la crise sociale. Celui-ci comprendrait l’abandon des sanctions à l’encontre des locataires en situation d’impayés. Une prise en charge financière par l’Etat devrait s’élever à hauteur d’au moins 2 milliards d’euros, complétée par un apurement des dettes chez les bailleurs sociaux.
La fin de la crise sanitaire rime-t-elle avec expulsions ?
En l’état actuel, les procédures d’expulsion sont reportées jusqu’au 31 mars 2021 avec la fin de la trêve hivernale. Avant cette échéance, il faudrait amortir le choc de la crise sanitaire sur les expulsions sans relogement.
Il serait nécessaire de prévenir en amont les effets négatifs de la récession économique. « Les expulsions vont reprendre à partir du 1er avril prochain. Nous devons anticiper cette bombe à retardement », prévient M. Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre, qui demande un plan pour 150 000 nouveaux logements sociaux par an [9]. Il faut penser à des solutions durables pour l’aval de la crise pour ne pas remettre à la rue les personnes hébergées durant la crise.
Des sommes considérables sont allouées pour l’hébergement temporaire, plus de 50 000 nuitées dans des hôtels sont par exemple financées par l’Etat rien qu’en Ile de France [10]. Ces habitations sont néanmoins coûteuses et souvent de piètre qualité. La construction annuelle de logements sociaux serait une solution pérenne pour les pouvoirs publics et les mal-logés. Elle éviterait la nécessité d’une politique d’urgence sanitaire exceptionnelle pour rendre enfin effective le droit au logement et respecter le principe d’inconditionnalité du droit à l’hébergement pour les sans-abris [11].