Peut-on interdire les spectacles de Dieudonné ?

Par Vivien Guillon, Avocat.

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Explorer : # liberté d'expression # ordre public # police administrative # spectacle controversé

L’humoriste controversé doit donner à Nantes le 9 janvier prochain un spectacle au cours duquel il ne devrait pas manquer de faire son ambiguë « quenelle », voire de tenir des propos susceptibles de heurter les familles de victimes du nazisme. Le gouvernement a d’ores et déjà donné instruction aux préfets d’interdire ses spectacles.

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Invitée sur i-Télé, lundi 6 janvier, la porte-parole du gouvernement a indiqué que ce dernier allait dès le 6 janvier émettre une circulaire recommandant aux préfets d’interdire le spectacle de Dieudonné, « sitôt que l’atteinte à l’ordre public est évidente ».

En effet, l’humoriste controversé doit donner à Nantes le 9 janvier prochain un spectacle au cours duquel il ne devrait pas manquer de faire son ambiguë « quenelle », voire de tenir des propos susceptibles de heurter les familles de victimes du nazisme.

Se pose donc la question de savoir si les préfets ou les maires peuvent légalement, dans le cadre de leurs pouvoirs de police administrative, interdire un tel spectacle au nom du risque de trouble à l’ordre public.

Tout d’abord, il convient de préciser qu’en principe, un acte de police administrative intervient nécessairement à titre préventif, dans un but d’ordre public. L’examen de la légalité d’un tel acte relève des juridictions administratives.

En revanche, si l’acte de police intervient postérieurement à ce trouble, il s’agit alors d’un acte de police judiciaire, visant à réprimer une infraction, qui relève alors des juridictions pénales.

Les autorités de police peuvent donc en théorie interdire un spectacle dès lors que le risque de trouble à l’ordre public est caractérisé.

Mais encore faut-il que le risque en question puisse être défini de façon « concrète et circonstanciée », compte tenu notamment du contexte local (voir par exemple TA Marseille, 7e ch., ord., 28 oct. 2010, n° 1006615, Assoc. YANKEE NORD Marseille et a.).

Surtout, la légalité de l’interdiction d’un spectacle doit être appréciée au regard d’une jurisprudence bien établie du Conseil d’Etat, selon laquelle l’interdiction d’un spectacle vivant ne se justifie qu’à défaut de moyens permettant de maintenir l’ordre autrement (CE, 19 mai 1933, Benjamin : Rec. CE 1933, p. 54, à propos d’une conférence à Nevers sur le thème “Deux auteurs comiques : Courteline et Sacha Guitry").

Ainsi, l’interdiction d’un spectacle de Dieudonné ne sera légale que s’il est démontré d’une part, l’existence d’un risque de trouble à l’ordre public eu égard aux circonstances locales et, d’autre part, que l’interdiction représente le seul moyen dont ils disposent pour maintenir l’ordre public.

Le couple de « chasseurs de nazis », Serge et Beate Klarsfeld, a appelé vendredi 3 janvier à manifester mercredi à Nantes au nom des fils et filles des déportés juifs de France, pour demander l’interdiction du spectacle.

Cet évènement pourrait constituer une « circonstance locale concrète » permettant de donner une base légale à l’interdiction.
Mais en pratique, il est rarissime que le juge administratif admette la légalité d’une mesure de police administrative consistant dans l’interdiction d’un spectacle vivant, fût-il des plus controversés.

La légalité d’une interdiction du spectacle de Dieudonné est donc loin d’être acquise.

En tout état de cause, s’agissant d’un spectacle prévu jeudi 9 janvier prochain, il est très peu probable que la légalité d’un arrêté d’interdiction puisse être examinée en temps utile.

En effet, s’il intervenait, un arrêté d’interdiction du préfet de Loire-Atlantique pourrait faire l’objet d’un référé « libertés fondamentales », jugé dans un délai de 48 heures.

Un tel recours, qui permet de solliciter du juge, lorsque l’urgence le justifie, qu’il fasse cesser une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, pourrait être fondé en l’espèce sur une violation de la liberté d’expression.

Pour éviter un tel aléa, il est à prévoir que l’arrêté d’interdiction interviendra le plus tard possible, de façon à pouvoir être exécuté en dépit d’une éventuelle saisine du juge.

Mais cela ne devrait pas empêcher les organisateurs du spectacle de rechercher, après coup, la responsabilité de l’administration à raison d’une décision illégale d’interdiction, et de solliciter la réparation du préjudice commercial subi.

Vivien GUILLON
Avocat au Barreau de Paris
http://www.avocat-guillon.com

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