Chacun sait que l’Alsace et la Moselle sont revenues à la France en 1918 et que de leur période allemande, elles en ont conservé certains textes, qui forment ce qui est dénommé le « droit local ».
Le maintien du droit local a été reconnu par les lois du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française ainsi que la législation commerciale dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.
A l’époque, le maintien de ces règles héritées du régime allemand a été motivé par la supériorité qualitative qu’elles représentaient par rapport à certaines dispositions de droit français.
Parmi les matières du droit local ainsi conservées figuraient les règles régissant l’exécution forcée sur les biens immeubles.
Depuis 1924, le droit gouvernant cette matière en Alsace-Moselle n’a été que peu modifié, et il en résulte que dans les trois départements l’exécution forcée immobilière obéit à un système qui ignore les avancées que le droit général a depuis lors connues.
En Alsace-Moselle l’exécution forcée a été instituée pour favoriser la vente de l’immeuble dans les meilleurs délais, protéger les intérêts du créancier en assurant son paiement et, pour ce faire, limiter les recours du débiteur, dont au demeurant le caractère suspensif a été refusé par la jurisprudence.
Selon que l’on est créancier ou débiteur, on apprécie ou non les dispositions parfois expéditives de cette branche du droit local.
Les spécificités du droit local sont légitimes et reposent sur des considérations, dont on s’accorde à reconnaître leur bien fondé.
En revanche, le droit local ne peut méconnaître les principes fondamentaux du droit, qui ont été consacrés au fil du temps afin de tenir compte de l’exigence de justice qui s’est fortifiée.
En 1924, lorsque les spécificités du droit local ont été maintenues par le législateur, le principe du contradictoire, qui est un des piliers de notre ordre juridique, sachant qu’il assure le respect des droits de la défense, ne constituait pas une exigence.
C’est ainsi qu’en droit de l’exécution forcée applicable dans les trois départements, les textes n’ont pas imposé que la requête, par laquelle le créancier demande au juge la vente forcée du bien, ou que le procès-verbal constatant l’adjudication, soit notifié au débiteur.
Celui-ci se voit donc imposé une procédure, par laquelle il va perdre son bien, sans que soit porté à sa connaissance la demande faite contre lui.
Après la vente forcée, il sera aussi expulsé de son immeuble, sans que la décision, par laquelle le bien a été vendu, ne lui soit préalablement adressée.
En droit français, les actes doivent être notifiés à ceux auxquels ils sont opposés.
La notification est l’équivalent de la publication d’une loi ou d’un règlement : c’est la condition nécessaire pour assurer sa connaissance par ceux qui doivent s’y soumettre.
Une loi non publiée est dénuée d’efficacité, et le droit français a étendu cette sanction aux jugements ainsi qu’aux actes ayant une portée contraignante.
La notification est donc un principe fondamental de notre droit.
Le droit local, qui n’a pas suivi les évolutions, le méconnaît.
Depuis près de cent ans, les praticiens se sont accommodés de cette entorse, et certains ont même trouvé une certaine satisfaction à ce que les modifications du droit, imposées pour certaines par les principes de la convention européenne des droits de l’homme, n’atteignent pas les règles obsolètes du droit local.
Pourtant, quel juriste, quel praticien, pourrait se vanter d’appliquer des dispositions qui violent les principes fondamentaux ?
Saisi du moyen tiré de l’irrégularité de la procédure pour défaut de notification du procès verbal d’adjudication, la Cour d’appel de Colmar dans un arrêt du 8 juin 2012 a néanmoins estimé qu’une telle notification n’avait pas à être réalisée dans la mesure où elle n’était pas prévue par le droit local.
Agir ainsi ne sert pas les intérêts du droit local qui, pour pouvoir se maintenir, doit nécessairement évoluer.
Un droit, qui passe un siècle en refusant de changer, a toutes les chances d’accéder au rang de souvenir, et c’est d’ailleurs pour éviter une telle sortie que certains spécialistes, dont ceux de l’Institut du Droit Local, oeuvrent pour améliorer et clarifier ce droit, dont les trois départements sont attachés.
Espérons que la décision de la Cour d’appel n’a été dictée que par les considérations de fait de l’affaire dont elle était saisie (en l’occurrence le débiteur avait déjà libéré l’immeuble lorsqu’elle a tranché la contestation), et qu’elle ait préféré une injustice à un désordre.