Retour sur une décision de la Cour de cassation du 5 juin 2013 (n° 11-21255) qui pose le principe dans son ensemble. Commençons par le texte fondant cette obligation :
« Article L6321-1
L’employeur assure l’adaptation des salariés à leur poste de travail.
Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations. »
Il comporte deux paragraphes distincts qui concernent, ainsi que l’illustre cette décision, deux aspects distincts de la formation professionnelle :
l’adaptation au poste de travail
le maintien de la capacité à occuper un emploi (ou « l’employabilité » du salarié).
I - L’employeur doit maintenir ma capacité à occuper un emploi
… « au regard de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations ».
Dans l’affaire en cause, le salarié venait d’être licencié économique ; il était donc destiné à rechercher un nouvel emploi. Tout en contestant son licenciement, il pointe au juge que son employeur n’a pas respecté son obligation de formation.
Ce salarié n’a, en effet, bénéficié d’aucune formation professionnelle durant ses 16 ans d’emploi.
La Cour de cassation constate, en visant l’article L. 6321-1 :
« En 16 ans d’exécution du contrat de travail l’employeur n’avait fait bénéficier le salarié, dans le cadre du plan de formation de l’entreprise, d’aucune formation permettant de maintenir sa capacité à occuper un emploi au regard de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations ».
Ce constat factuel suffit à faire condamner l’employeur qui a méconnu l’obligation légale posée par le deuxième paragraphe de cet article L. 6321-1.
L’entreprise est un lieu où s’organise et s’accomplit à intervalles réguliers une formation professionnelle qui enrichit le salarié et lui permet, par exemple, d’aborder plusieurs métiers successivement - par opposition à l’adaptation à un seul poste.
II - Mon poste de travail ne doit pas évoluer pour que mon employeur soit tenu de me proposer de suivre une formation professionnelle
Cet argument avait été retenu en appel pour rejeter la demande du salarié à des dommages-intérêts pour inexécution de son obligation de formation par l’employeur : « son poste de travail n’a connu depuis son embauche aucune évolution particulière nécessitant une formation d’adaptation ».
Il est donc écarté par la Cour de cassation :
Non, l’employeur ne peut pas s’exonérer de son obligation de formation en soutenant que le poste de travail du salarié n’évolue pas et ne nécessite pas d’adaptation spécifique justifiant une formation.
L’obligation de formation professionnelle continue est plus large que la seule adaptation au poste occupé.
Les faits de la décision d’appel illustrent bien ce cadre plus vaste :
un autre argument que les juges d’appel avaient également retenu dans leur arrêt favorable à l’employeur était justement qu’à l’origine, ce salarié avait été « recruté sans compétence ni expérience » pour l’emploi « auquel il avait été formé par l’employeur » ; « son expérience lui permettait désormais de prétendre à des postes similaires dans l’industrie mécanique ».
C’était encore se cantonner au premier paragraphe de l’article et accepter que l’employeur se suffise d’adapter le salarié à son poste.
III - Je n’ai pas à demander à bénéficier d’une formation professionnelle pour être formé
La Cour prend soin d’écarter fermement cet argument de l’employeur - que les juges d’appel avaient accueilli favorablement :
Non, l’employeur ne peut pas s’exonérer de son obligation de formation en soutenant que le salarié n’a pas demandé à suivre une formation professionnelle et n’a pas demandé à utiliser son droit à formation individuel (DIF) ou un congé individuel de formation (CIF).
L’initiative revient à l’employeur, débiteur de l’obligation de formation. Il ne peut rejeter l’inexécution sur un manque d’initiative du salarié.
IV - La sanction du défaut de formation professionnelle : des dommages-intérêts
Cette inexécution contractuelle invoquée à l’occasion de la contestation du motif économique du licenciement du salarié n’a pas pour effet de remettre en cause ce licenciement intervenu ni d’influer sur le motif économique ou non de celui-ci.
Le salarié peut obtenir le paiement de dommages-intérêts, sanction usuelle de l’inexécution d’une obligation de faire.
Discussions en cours :
Bonjour. J étais employé en 2012 comme agent de sécurité incendie (ssiap) contrat de travail et fiche de paie à l appuie. Or pour faire et être employé en tant que ssiap il faut faire des recyclages ou remise à niveau si pas eu de recyclage , ce tout les 3 ans. C est une obligation sinon l on ne peut exercer cette profession.
J ai demandé cette remise à niveau qui n est jamais venue, en 2013 j ai ete licenciée , je suis allée aux prud hommes mais cette obligation n à jamais été traité et cela fait quelques mois que le jugemznt s est terminé .
A ce jour je suis au chômage faute de pouvoir travailler en incendie et entre le SST obligatoire , le ssiap et maintenant la remise à niveau en sécurité je n ai malheureusement pas assez d heures de dif.
Ma question puisque c est l’obligation de l employeur de maintenir son salarié à jour dans ses compétences et que par son manquement je ne puis plus prétendre à travailler en tant que ssiap... Que puis je faire ? Si il y a quelque chose à faire ???
De plus les heures déclarées au compte formation sont basées sur un temps partiel et mon contrat à été requalifié à temps complet.
Bien cordialement,
bonjour
Je ne peux que vous donnez raison à la lecture de votre commentaire ...
L’employeur porte une responsabilité qui va bien loin, mais l’on pourrait se demander si le législateur et le juge ne vont toutefois pas trop loin au risque de complétement déresponsabiliser le salarié de tout initiative de départ en formation. Ce n’est qu’une réflexion, mais il est intéressant de la poser.
Vous soulignez à juste titre que même s le salarié n’a pas mobilisé son DIF, son CIF ... cela ne protège pas pour autant l’employeur de son obligation de former ...
Toutefois, attention, il ne s’agit pas d’une obligation de former mais bien d’une obligation d’adapter au poste de travail ou de permettre une employabilité au salarié ... la différence est subtile, je vous le concède, mais pour autant la formation ne peut être systématiquement la seule solution ... et il serait bon que "le droit" en soit conscient.
Mais allons plus loin encore, en intégrant dans notre réflexion la construction de la très prochaine loi sur la réforme de la formation :
L’obligation d’accès à la formation qui, au bout de 6 ans, entrainera des sanctions pour l’employeur (ajout d’un abondement correctif de 100 heures utilisables par le salarié sans avoir à obtenir l’accord de l’employeur, amende d’une somme égale à 100H * un taux qu’un décret déterminera (certainement autour des 10 €soit 900 à 1000 € par salarié "non formé" ) ...
Tout cela risque d’entraîner l’employeur sur une erreur de fond : autant pour ne pas payer "cette" amende la formation sera salvatrice, autant il ne s’agit pas d’assurer "n’importe quelle formation" ... car si la formation suivie ne répond ni à une adaptation au poste ni à l’employabilité du collaborateur, le juge pourra encore et toujours sanctionner.
Dès lors, la réflexion à mettre en avant consistera à parler ici d’analyse des besoins en formation ... et de la maîtrise de la catégorisation de la formation (outil de fond pour distinguer justement ce qu’est le poste, l’emploi ou encore le développement des compétences)
Enfin, revenons à l’intérêt d’amener le salarié à participer à la construction de son devenir professionnel en mobilisant les outils et dispositifs formation mis à sa disposition ... Autant il convient de placer l’employeur devant des responsabilités que le droit pose comme incontournable, autant tout individu se doit de ne pas seulement attendre que l’on s’occupe de lui !
N’oublions pas que nous devons tous être "responsable" et pas seulement l’employeur ... et cette responsabilité ne se résume pas à envoyer des personnes ne formation mais également pour ceux qui partent en formation (qui ont la chance de partir en formation) de s’investir comme il se doit.
Culturellement, il reste un large travail pour espérer un jour faire de la formation un outil au service de tous au contraire d’un moyen coercitif ...
Philippe BERNIER, docteur en droit, consultant en droit et ingénierie de la formation et GPEC du cabinet CARAXO. Directeur du master 2 droit et gestion des RH, Faculté de droit
Bonjour,
Merci pour votre commentaire.
Pourquoi avoir choisi de commenter cet arrêt ?
1. Il était une illustration de ce que peut être le "désert" de la formation professionnelle dans certaines entreprises. Le salarié n’avait pas reçu de formation en 16 ans d’emploi chez le même employeur et sur le même poste.
2. L’employeur usait d’arguments variés (accueillis d’ailleurs favorablement par les juges du fond) pour réduire le périmètre de son obligation de formation.
Et justement, l’un des arguments était que le salarié n’avait pas sollicité de formation, n’avait pas mis en action un CIF ou son DIF. Autrement dit, l’attitude du salarié "passif" en matière de formation serait un "fait exonératoire" pour l’employeur débiteur de l’obligation de formation.
La Cour de cassation rejette cette conception et rappelle que l’employeur a la responsabilité de l’initiative en matière de formation ; comme elle a pu décider que l’employeur a l’initiative d’organiser la visite médicale d’embauche et de s’assurer qu’elle a bien eu lieu, sans que le salarié ait à la solliciter. Pour la Cour, il s’agit dans les deux cas de contrer une construction juridique avancée par les employeurs dans un domaine où "l’évitement" est la règle dans certaines entreprises. Les très nombreux messages de salariés que je reçois sur mon site d’Avocat, à la suite de mes articles sur ce sujet, pour indiquer qu’ils n’ont jamais passé de visite médicale depuis leur embauche en sont le reflet fidèle.
Vous avez raison de préciser, comme le prévoit la Loi, que la formation a deux buts : l’adaptation au poste de travail ET le maintien de "l’employabilité" du salarié. C’était un autre argument de l’employeur dans cette espèce pour s’exonérer : il mettait en avant la seule adaptation au poste de travail (adaptation inutile selon lui car le poste n’avait pas évolué en 16 ans). Pour la Cour, il oubliait le maintien de l’employabilité ; par conséquent, il ne respectait pas son obligation.
Sur ce dernier point, je partage votre commentaire : l’obligation d’assurer l’employabilité du salarié est plus malaisée à circonscrire que l’obligation d’adapter le salarié à son poste de travail. C’est un aspect du sujet qui m’intéresse. Toute indication de décisions qui seraient intervenues sur ce point spécifique peut m’être adressée à l’adresse suivante : n2ravocats chez gmail.com ou via mon site d’Avocat : www.n2r-avocats.com
Bien à vous.
Nadine Regnier Rouet
Avocat au Barreau de Paris, spécialisé en droit du travail
Site : www.n2r-avocats.com
Bonjour, je vous écris car je viens de découvrir votre site en naviguant sur le le Net.
Voici mon cas : je suis infirmière en dans une grosse entreprise et suis sous les ordres directs de la DRH.
Depuis 2011, je demande à suivre une formation "certifiante : infirmière de santé au travail"car j’assiste le Médecin du Travail lors de ses vacations médicales dans l’entreprise, celui-ci est mis à disposition par un Service de Santé au Travail Interentreprises.
Je suis diplômée d’état mais n’ai eu aucune formation en santé au travail depuis 8 ans ; j’occupe mon poste en ayant toujours travaillé pour acquérir les connaissances qui me font défaut de plus en plus car depuis 2012, la Loi portant Réforme de la Médecine du Travail a changé la donne tout comme va le faire la Loi EL KHOMRI...
Le SST Interentreprises va mettre en place l’équivalent des visites périodiques des salariés sur l’entreprise à savoir "les entretiens infirmiers" ; je vais être écartée de cette organisation car je ne peux justifier d’aucune formation en santé au travail - formation obligatoire d’après la Loi de 2012 pour une infirmière qui mène ces entretiens infirmiers -. J’ai réclamé de suivre cette formation mais mon employeur soutient qu’elle n’est pas obligatoire et refuse de me la payer sous prétexte que je suis de retour d’une longue maladie et que je suis en temps partiel thérapeutique jusqu’à fin Novembre... Je dois vous préciser aussi que j’e vais avoir 59 ans et que je suis Secrétaire du CHSCT et Déléguée Syndicale CFTC. L’Inspecteur du Travail que j’ai contacté ne bouge pas et argue que, du fait de mes mandats, je ne dois pas m’étonner de cette absence de formation... Quels sont, d’après vous, mes recours ? Je vous remercie d’avance de prendre le temps de me répondre car je commence à m’épuiser et les salariés ne comprennent pas que je me laisse discréditer sans réagir... Encore merci de votre aide et de vos conseils ; cordialement, H.LAPEYRE