La cigarette, « un tabac » en droit du travail !

Par Yacine Zerrouk, Juriste.

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Explorer : # interdiction de fumer # obligation de sécurité # sanctions employeur # tabagisme passif

Selon l’INPES (Institut National de Prévention et d’Education pour la santé), le tabagisme est la première cause de mortalité évitable en France. Il a été responsable d’environ 200 morts par jour durant l’année 2014.

-

L’encadrement légal relatif à l’interdiction de fumer sur les lieux de travail :

C’est dans un contexte à enjeux de santé publique qu’a été promulguée la loi n° 76-616 du 9 juillet 1976 relative à la lutte contre le tabagisme, interdisant à toutes personnes de fumer dans les lieux à usage collectif, fermés et couverts.

La loi n° 91-32 du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme (dite Loi Evin) et son décret d’application n° 92-478 du 29 mai 1992, a étendu cette interdiction au monde de l’entreprise.

A la suite d’un trop grand nombre de violation, le législateur a, par l’intermédiaire du décret n° 2006-1386 du 15 novembre 2006 abrogeant le décret de 1992, instauré une interdiction totale de fumer dans les lieux à usage collectif.

Le décret n° 2015-768 du 29 juin 2015 a modifié l’article R.3511-1 du Code de santé publique,

« L’interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif mentionnée à l’article L. 3511-7 s’applique :

1° Dans tous les lieux fermés et couverts qui accueillent du public ou qui constituent des lieux de travail ;

2° Dans les moyens de transport collectif ;

3° Dans les espaces non couverts des écoles, collèges et lycées publics et privés, ainsi que des établissements destinés à l’accueil, à la formation ou à l’hébergement des mineurs ;

4° Dans les aires collectives de jeux telles que définies par le décret n° 96-1136 du 18 décembre 1996 fixant les prescriptions de sécurité relatives aux aires collectives de jeux ».

Dès lors, les lieux de travail sont devenus des espaces non-fumeurs ; l’interdiction de fumer doit donc s’y appliquer et ce sans la moindre réserve.

L’obligation de sécurité incombant à l’employeur :

Pour ce faire, il incombe à chaque employeur de mettre en œuvre cette législation anti-tabac et par la même occasion de veiller à la faire respecter.

Cette obligation a pour fondement légal l’article L.4121-1 du Code du travail, qui rappelons le, dispose que « l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ».

C’est une obligation de résultat et la jurisprudence l’applique en ce qui concerne la santé des salariés face au tabagisme (Soc.29 juin 2005, 03-44.412).

Pour faire respecter son obligation, l’employeur peut y parvenir par divers moyens tels que par exemple :

-  faire apparaître au sein de l’entreprise une signalisation rappelant le principe de l’interdiction de fumer (article R.3511-6 du Code de Santé publique) ;

-  inscrire dans le règlement intérieur les dispositions légales du Code de Santé publique quant à l’interdiction de fumer sur les lieux de travail (les mesures d’application de la réglementation anti-tabac sont bien d’une nature qui leur permet de figurer dans le règlement intérieur (CE, 18 mars 1998, no 162055) ) ;

-  ou bien encore user de son pouvoir disciplinaire en sanctionnant les salariés qui enfreindront cette interdiction.

Dès lors, la sanction encourue par le salarié fumeur pourra aller du simple avertissement au licenciement pour faute.

Le degré de la faute (simple ou grave) variera en fonction du cas en l’espèce.

D’une part, a été justifié le licenciement pour faute simple :

-  d’un salarié qui avait fumé dans un couloir, en violation du règlement intérieur (Soc. 31 mars 1999, n° 97-41.220) ;

-  d’une employée d’hôtel de standing, entièrement non-fumeur, d’avoir fumé pendant son service dans la chambre d’un client (Soc. 31 mars 2010, n° 08-45.544).

D’autre part, a été jugé le licenciement pour faute grave :

-  d’un employée de station-service fumant à son poste de travail (Soc. 7 juillet 2004, n° 02-43.595) ;

-  d’un salarié, membre de l’équipe de première intervention incendie dans l’entreprise, qui avait été surpris en train de fumer avec deux collègues dans un local présentant un risque d’incendie et d’explosion (Soc. 15 janvier 2014, n° 12-20.321) ;

-  d’un salarié, déjà sanctionné pour les mêmes faits, qui avait fumé dans l’enceinte de l’entreprise, en violation des consignes de sécurité prises du fait du stockage de matières hautement inflammables (Soc. 16 juin 2015, n° 14-10.327).

Les emplacements dits « espaces fumeurs » :

Sur le fondement de l’article R.3511-2 du Code de santé publique, l’interdiction de fumer ne s’applique pas dans les emplacements mis à la disposition des fumeurs par la personne ou l’organisme responsable des lieux.

Dès lors, l’employeur peut mettre à la disposition de ses salariés un emplacement spécifique aux fumeurs : attention, il s’agit que d’une simple possibilité et non d’une obligation.

Néanmoins, ces emplacements ne peuvent en aucun cas être aménagés au sein :

-  des établissements d’enseignement publics et privés ;

-  des centres de formation des apprentis ;

-  des établissements destinés à ou régulièrement utilisés pour l’accueil, la formation, l’hébergement ou la pratique sportive des mineurs ;

-  des aires collectives de jeux et des établissements de santé.

L’article R.3511-3 du même code apporte plus de précisions sur ces emplacements dits « espaces fumeurs » :

« Les emplacements réservés mentionnés à l’article R. 3511-2 sont des salles closes, affectées à la consommation de tabac et dans lesquelles aucune prestation de service n’est délivrée.

Aucune tâche d’entretien et de maintenance ne peut y être exécutée sans que l’air ait été renouvelé, en l’absence de tout occupant, pendant au moins une heure.

Ils respectent les normes suivantes :

1° Etre équipés d’un dispositif d’extraction d’air par ventilation mécanique permettant un renouvellement d’air minimal de dix fois le volume de l’emplacement par heure. Ce dispositif est entièrement indépendant du système de ventilation ou de climatisation d’air du bâtiment.

Le local est maintenu en dépression continue d’au moins cinq pascals par rapport aux pièces communicantes ;

2° Etre dotés de fermetures automatiques sans possibilité d’ouverture non intentionnelle ;

3° Ne pas constituer un lieu de passage ;

4° Présenter une superficie au plus égale à 20 % de la superficie totale de l’établissement au sein duquel les emplacements sont aménagés sans que la superficie d’un emplacement puisse dépasser 35 mètre carrés ».

De plus, ces emplacements, et plus particulièrement le système de ventilation, doit être entretenu régulièrement.

A ce titre, il incombe à l’employeur de produire cette attestation à l’occasion de tout contrôle et de faire procéder à l’entretien régulier du dispositif (article R. 3511-4 du Code de santé publique).

Enfin, concernant la mise en place de ces emplacements, le législateur a instauré par le biais de l’article R.3511-5 du Code de santé publique , une condition essentielle.

Effectivement, l’employeur doit procéder à la consultation :

-  du comité d’hygiène et de sécurité et des conditions de travail ou, à défaut, des délégués du personnel ;

-  et du médecin du travail.

Les sanctions encourues par l’employeur en cas de non-respect de son obligation de sécurité :

En cas de non-respect de son obligation de sécurité, l’employeur risque aussi bien des sanctions civiles que des sanctions pénales.

S’agissant des sanctions civiles :

Par définition, le salarié qui inhale, de manière involontaire la fumée dégagée par un ou plusieurs fumeurs, est victime de tabagisme passif.

Dès lors, tout salarié victime de tabagisme passif est en droit, sur le fondement de l’article L.4121-1 du Code du travail, d’engager la responsabilité de son employeur et donc de demander la réparation du préjudice subi par l’octroi de dommages et intérêts.

A souligner que la position de la jurisprudence est très claire quant aux arguments de défense de l’employeur.

En effet, comme peut le témoigner l’arrêt rendu récemment par la Chambre Social de la Cour de Cassation en date du 3 juin 2015 « l’employeur ne peut pas s’exonérer de sa responsabilité en invoquant le fait que le salarié ne s’était jamais plaint de tabagisme passif, qu’il accompagnait ses collègues lors des pauses cigarette alors qu’il n’y était pas obligé et que sa présence dans les locaux de travail était extrêmement réduite depuis plusieurs mois » (Soc. 3 juin 2015, n°14-11.324).

S’agissant des sanctions pénales :

Conformément à l’article R.3512-2 du Code de santé publique, l’employeur est passible de l’amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe, à savoir une amende fixée au maximum de 750 €, lorsqu’il :

-  ne met pas en place la signalisation prévue à l’article R. 3511-6 ;

-  met à la disposition aux salariés fumeurs un emplacement non conforme aux dispositions des articles R. 3511-2 et R. 3511-3 ;

-  favoriser, sciemment, par quelque moyen que ce soit, la violation de cette interdiction.

De plus, en vertu de l’article L.4742-1 du Code du travail, l’employeur peut également encourir les peines correspondantes à l’infraction de délit d’entrave, à savoir 1 an d’emprisonnement et 3 750 € d’amende, lorsqu’il refuse de manière « avéré » de procéder à la consultation du CHSCT ou, à défaut, des délégués du personnel.

Yacine Zerrouk
Responsable Relations Sociales

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  • par Amandine V , Le 28 avril 2016 à 13:36

    Tout d’abord bravo pour votre article. Je me dois néanmoins de corriger une erreur relative à votre interprétation de l’arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 31 mars 2010. En effet, contrairement à ce que vous écrivez, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de l’employeur formé contre l’arrêt d’appel qui avait elle-même rejeté le licenciement pour cause réelle et sérieuse. Si bien que la Cour de cassation s’est rangé derrière la cour d’appel concernant le licenciement sans cause réelle et sérieuse :
    "Mais attendu que la cour d’appel, usant du pouvoir souverain qu’elle tient de l’article L. 1235-1 du code du travail, a décidé que le manquement de la salariée à la discipline ne constituait pas une cause réelle et sérieuse de licenciement ; que le moyen n’est pas fondé ;"

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