I. L’enquête interne : développement et contours en construction.
L’enquête interne est - comme l’indique son nom, menée par une société elle-même ou par son CSE. Elle peut être également externalisée. Elle vise à vérifier l’établissement de faits dénoncés : harcèlement moral et/ou sexuel, alerte.
Le déclenchement d’une enquête : facultatif ou obligatoire ?
L’enquête est l’un des moyens mis à la disposition de l’employeur pour démontrer qu’il a satisfait à son obligation de sécurité.
En effet, la réalisation d’une enquête suite à des dénonciations de faits de harcèlement ou suite à une procédure d’alerte démontre que l’employeur a cherché à établir les faits et à prendre des mesures adaptées selon les conclusions de celle-ci.
L’inaction de l’employeur suite à la dénonciation de faits de harcèlement peut, en effet, lui être reprochée [1].
Pour autant, dans un arrêt récent de juin 2024, la Cour de cassation a considéré que l’absence d’enquête interne n’était pas synonyme de manquement à l’obligation de sécurité. L’employeur avait pris les mesures suffisantes pour préserver la santé et la sécurité [2].
Dès lors, quand procéder à une enquête ?
Il existe une situation où l’enquête est obligatoire. Lorsqu’un ou des membres du CSE ont fait l’usage de leur droit d’alerte [3].
En dehors des cas d’alertes, l’enquête n’a, semble-t-il, pas encore, un caractère obligatoire.
Cependant, elle est fortement conseillée pour faire la lumière sur les faits, et ainsi s’assurer que l’obligation de sécurité soit respectée.
En 2010, l’accord national interprofessionnel du 26 mars 2010 relatif au harcèlement et à la violence au travail a, par exemple, préconisé de faire suivre les plaintes d’une enquête interne et de les traiter sans retard (article 4).
Les modalités de l’enquête et l’application de principes directeurs.
Une fois le choix du déclenchement de l’enquête, l’employeur et/ou le CSE peut se retrouver confronté à des difficultés concernant l’organisation de celle-ci.
Le texte du travail ne prévoir aucune disposition à ce sujet. La Cour de cassation a d’ailleurs rappelé en 2022 que : « L’enquête interne réalisée par l’employeur pour établir l’existence des faits de harcèlement moral et sexuel reprochés à un salarié n’est soumise à aucun formalisme et ne peut être écartée des débats comme déloyale au prétexte de prétendu dysfonctionnement dans son déroulement » [4].
En l’absence de disposition légale, depuis plusieurs années, la jurisprudence statue sur les modalités et discute l’application de principes directeurs : contradictoire, impartialité, neutralité, confidentialité…
Par exemple, concernant le respect du principe du contradictoire, la Cour de cassation fait preuve d’une appréciation souple. Elle considère qu’il n’est pas obligatoire d’entendre le salarié mis en cause.
Le Défenseur des droits s’est saisi à plusieurs reprises de la question de l’enquête interne. Dans une décision récente du 11 juillet 2024, il rappelle certaines exigences : impossibilité de confier l’enquête au salarié visé par l’alerte, l’enquête ne peut être menée à charge, elle doit être ouverte rapidement et se dérouler dans un temps raisonnable, toutes les parties doivent bénéficier d’une écouter impartiale et d’un traitement équitable, les personnes à auditionner a minima, prendre les mesures conservatoires utiles.
Des chartes, des vademecum se multiplient pour aiguiller les personnes chargées d’enquêter.
Au regard de l’absence de cadre clairement formalisé, il est possible d’externaliser l’enquête auprès de psychologues, de cabinet de conseil, mais aussi auprès d’avocat.
II. L’intérêt de faire appel à un avocat enquêteur.
Certaines entreprises et/ou CSE font le choix d’externaliser leur enquête à un ou des avocats enquêteurs.
Il est possible de choisir par principe toutes enquêtes. Dans certains cas, l’externalisation est d’autant plus opportune, notamment lorsque :
- un dirigeant est mis en cause, l’enquête sera alors menée uniquement avec un ou deux interlocuteurs via un comité de pilotage.
- climat social complexe existe dans l’entreprise, l’intervention d’un tiers à l’entreprise peut rassurer les salariés auditionnés quant à la neutralité du déroulé de l’enquête.
- La dénonciation de faits graves tels qu’une situation de harcèlement sexuel avec des précisions relatives aux faits laissant penser que certains salariés ou la victime seraient plus à même d’être auditionnés par un tiers à l’entreprise.
L’avantage de faire appel à un avocat enquêteur est qu’il appliquerait les principes directeurs de l’enquête : neutralité, impartialité, respect du contradictoire, mais il respectera également ses principes déontologiques tels que la confidentialité.
En tant que professionnel du droit, il a une connaissance importante de la législation en vigueur, de la jurisprudence et de ses changements pour mener l’enquête, mais aussi qualifier les faits.
L’avocat enquêteur se chargera de rédiger un compte-rendu d’enquête tout en connaissant les attentes des juridictions en cas d’éventuel contentieux.
Il convient tout de fois de se rappeler que l’avocat enquêteur demeure lié à son client : entreprise et/ou CSE. Ainsi, bien qu’externe, il peut être perçu comme orienté puisque mandaté par l’entreprise.
Il serait donc préférable que l’entreprise ne fasse pas appel à son Conseil habituel pour la réalisation de l’enquête. C’est d’ailleurs ce que préconise le CNB [5].
III. Le parcours d’enquête encadré par l’avocat mandaté.
L’employeur qui reçoit un signalement (sur des faits de harcèlement moral et/ou sexuel, de discrimination ou une alerte sur des faits relevant d’une infraction pénale) doit en accuser réception auprès du salarié auteur de l’alerte.
Il doit également lui indiquer qu’il le tiendra informé des suites de l’enquête.
Si l’employeur décide d’externaliser l’enquête auprès d’un avocat enquêteur, il peut former un comité de pilotage. Il peut être composé :
- D’un membre de l’équipe des ressources humaines,
- Et/ou d’un membre du CSE,
- Et/ ou du référent harcèlement/discrimination s’il en existe un dans l’entreprise.
Il est toutefois essentiel que personne ne soit « juge et partie ».
L’avocat enquêteur rédigera une lettre de mission précisant le calendrier prévisible de la procédure d’enquête et les étapes clés qu’il réalisera :
- La collecte des données,
- Le recueil des preuves,
- Les différents entretiens avec le salarié auteur de l’alerte, le salarié mis en cause, les salariés témoins, qui doivent être informés sur la nature de l’enquête et la possibilité d’être assistés,
- Rendu d’un compte-rendu d’enquête.
Dans une décision en date du 11 juillet 2024, le Défenseur des droits a préconisé le respect d’une méthodologie détaillée pour mener une enquête interne en cas de harcèlement et a rappelé que l’employeur est tenu de s’assurer que toutes les auditions nécessaires à la manifestation de la vérité soient menées, même si la salariée victime n’en fait pas la demande [6].
Il sera d’ailleurs rappelé que le ministère du Travail recommande également d’auditionner, a minima, la victime présumée, le salarié mis en cause, les témoins, les responsables hiérarchiques directs de la victime présumée et du salarié mis en cause et toute personne demandant à être auditionnée ou dont l’audition est souhaitée par l’une de ces parties [7].
L’enquête interne doit respecter le principe du contradictoire et de confidentialité des échanges, ce qui signifie qu’aucune information recueillie au cours de l’enquête ne peut être rendue publique (sauf auprès de l’inspection du travail à sa demande ou au Conseil de prud’hommes en cas de contentieux).
À l’issue de l’enquête, l’avocat enquêteur rédigera un rapport d’enquête qu’il remettra à l’employeur. Ce rapport est une restitution des résultats, étape par étape.
Deux versions pourront être remises : une version synthétique contenant l’objet de l’enquête, le rappel de la méthodologie et les conclusions, une version complète détaillant l’ensemble des actions menées et comprenant des annexes contenant notamment les PV d’auditions.
Le rapport d’enquête doit être rendu dans un délai raisonnable.
L’avocat enquêteur peut également, à la fin de l’enquête, préconiser la mise en place de mesures de prévention des risques psychosociaux.
Discussions en cours :
Faisant partie du CSE de mon entreprise j’ai pris conscience de mon rôle dans ce cas de figure.
Merci pour cet article !
Pour compléter la lecture de l’article ci-dessus, nous vous invitons à prendre connaissance de l’article réalisé par la Rédaction du Village de la Justice intitulé : Qui peut diriger une enquête interne et comment s’y former ?
En voici le lien : https://www.village-justice.com/articles/qui-peut-diriger-une-enquete-interne-comment-former,50996.html
La Rédaction du Village de la Justice.