I. Contexte
En vertu des décisions ministérielles des 11 août 1942 et 27 avril 1943, les ports autonomes bénéficient d’une exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties.
L’administration fiscale a tiré argument de leur passage au statut de grands ports maritimes, conformément à la loi du 4 juillet 2008 portant réforme portuaire, pour contester cette exonération au motif que le nouveau statut diffère suffisamment du précédent pour ne pas perpétuer la dérogation dont bénéficiaient les établissements portuaires.
Pour ce faire, l’administration fiscale se fonde sur une décision du 02 juillet 2014 (CE, 02 juillet 2014, n° 374807), par laquelle le Conseil d’Etat a jugé que les grands ports maritimes, légalement passibles de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) à raison de leurs immeubles productifs de revenus, ne pouvaient se prévaloir, sur le fondement de l’article L 80 A du LPF, de l’exonération accordée aux ports autonomes par les décisions ministérielles susvisées.
Le Conseil d’Etat a, en effet, estimé que cette exonération n’était pas applicable aux grands ports maritimes, eu égard aux différences substantielles existant entre ces ports et les ports autonomes. Ceci est contestable car – port autonome ou grand port maritime – un port reste un port.
A cet égard, l’article 33 de la loi de finances rectificative pour 2014 a donc institué, à compter des impositions établies au titre de 2015, une exonération permanente de taxe foncière sur les propriétés bâties en faveur des Grands Ports Maritimes, pour les propriétés situées dans leur emprise.
Cette exonération est codifiée à l’article 1382 E du Code Général des Impôts (CGI).
Toutefois, un article additionnel à la loi de finances rectificative pour 2014 donne aux collectivités territoriales et établissements publics de coopération intercommunale le droit de déroger à cette exonération : ils peuvent, pour la part de taxe foncière sur les propriétés bâties qui leur revient, supprimer l’exonération ou la limiter à 10, 20, 30, 40, 50, 60, 70, 80 ou 90 % de la base imposable.
En vertu de l’article 1639 A bis du CGI, la délibération supprimant ou réduisant l’exonération doit être prise avant le 1er octobre d’une année pour être applicable l’année suivante. Afin de donner de la visibilité aux propriétaires des ports sur leur imposition, cette délibération ne peut pas être rapportée ou modifiée pendant une période de trois ans.
Par dérogation à ces règles, il est prévu que les collectivités territoriales et les EPCI à fiscalité propre pourront délibérer jusqu’au 21 janvier 2015 afin de supprimer ou de réduire l’exonération dès l’année 2015.
C’est ainsi que les communes et EPCI intéressés ont par délibération de leur conseil municipal ou communautaire, approuvé la suppression de l’exonération de la part communale de taxe foncière en faveur des grands ports maritimes.
Le Tribunal administratif saisi de la légalité de ces délibérations a procédé à leur annulation pour défaut ou insuffisance d’informations des élus de sorte qu’ils n’ont pu exercer utilement leur mandat.
II. Sur l’insuffisance de la note explicative de synthèse
L’article L. 2121-12 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) dispose que :
« Dans les communes de 3500 habitants et plus, une note explicative de synthèse sur les affaires soumises à délibération doit être adressée avec la convocation aux membres du conseil municipal. […] ».
Il s’agit d’une formalité substantielle qui, si elle n’est pas respectée, prive les élus de leur droit à information et entraîne l’annulation de la délibération (CE, 30 avril 1997, Commune de Sérignan, n° 158730).
La note de synthèse doit porter sur chacun des points qui seront abordés lors du conseil municipal et, si elle est de synthèse, doit néanmoins être suffisamment détaillée.
En pratique, le Conseil d’Etat a rappelé, dans un arrêt du 14 novembre 2012, que :
« dans les communes de 3500 habitants et plus, la convocation aux réunions du conseil municipal doit être accompagnée d’une note explicative de synthèse portant sur chacun des points de l’ordre du jour » ;
« que le défaut d’envoi de cette note ou son insuffisance entache d’irrégularité les délibérations prises, à moins que le maire n’ait fait parvenir aux membres du conseil municipal, en même temps que la convocation, les documents leur permettant de disposer d’une information adéquate pour exercer utilement leur mandat » (CE, 14 novembre 2012, Commune de Mandelieu-La Napoule, n° 342327).
Tout en précisant que cette obligation « doit être adaptée à la nature et à l’importance des affaires, doit permettre aux intéressés d’appréhender le contexte ainsi que de comprendre les motifs de fait et de droit des mesures envisagées et de mesurer les implications de leurs décisions ».
Or chacune des délibérations contestées souffrait d’une note explicative, à supposer qu’elle existe, insuffisante au regard des critères jurisprudentiels précités. En effet, telle que rédigée, la note explicative de synthèse ne permettait pas aux conseillers municipaux ou communautaires ni de comprendre les motifs de fait et de droit de la mesure envisagée, ni de mesurer les implications de leur décision.
1- Les conseillers municipaux n’ont pas été mis en mesure de comprendre les motifs de fait et de droit de la mesure envisagée.
Les délibérations attaquées mentionnent laconiquement que le rajout de l’article 1382 E du code général des impôts prévoit que soient exonérés de taxe foncière sur les propriétés bâties les grands ports maritimes pour les propriétés situées dans l’emprise des ports concernés.
Et il est subitement ajouté que « Dans ce cadre, la Commune doit se prononcer pour la suppression des exonérations de taxes foncières du Grand Port Maritime de MARSEILLE ».
Ce faisant, les communes ou EPCI balayent d’un revers de main toute explication relative au choix ayant présidé à la suppression de l’exonération de la taxe litigieuse.
2- Les implications des décisions contestée sont ignorées : aucune incidence financière n’est par exemple évoquée.
Une mesure d’une telle importance nécessitait pourtant une note de synthèse explicative plus détaillée.
3- Les délibérations attaquées vont à l’encontre de la volonté législative de soutenir l’activité portuaire.
En effet, il convient d’observer que, après plusieurs années marquées par le ralentissement de l’économie mondiale et la réforme portuaire de 2008, l’activité portuaire française n’a pas encore retrouvé une croissance économique saine.
A cet égard, les Grands Ports Maritimes subissent une situation particulièrement difficile, notamment sur le plan financier, les ports ayant dû faire face et assumer la réforme portuaire dans un contexte de crise économique.
Dans ce contexte délicat, l’arrêt du Conseil d’Etat du 02 juillet 2014 n’a pas manqué d’inquiéter grandement les instances dirigeantes des Grands Ports Maritimes puisqu’il a remis en cause l’exonération dont ils bénéficiaient depuis plus de 65 ans au seul motif que le nouveau statut des ports diffère suffisamment du précédent pour ne pas perpétuer la dérogation dont bénéficiaient les établissements portuaires.
Or cette interprétation apparaît pour le moins audacieuse dans la mesure où un port reste un port, sans préjudice de la propriété de ses outillages et sans référence à son statut juridique. Elle semble également contraire à la volonté maintes fois exprimée par le Parlement au cours des débats parlementaires : il s’agissait de doter les ports français d’une architecture juridique plus moderne et plus favorable ; il ne fut jamais question d’alourdir la fiscalité sur leurs propriétés à cette occasion, d’autant qu’aucune action positive non plus qu’aucun débat n’indiquent jamais la volonté de ramener les Grands Ports Maritimes dans le droit commun.
En effet, il est clair que la volonté implicite du Parlement, notamment avec la loi sur la réforme portuaire de 2008, est de soutenir l’activité portuaire française.
Or les délibérations litigieuses ne sont pas neutres financièrement.
Alors que les Grands Ports Maritimes sont confrontés à une situation délicate, la suppression de l’exonération de principe de la TFPB équivaut à une charge supplémentaire d’une portée non négligeable. Il est certain que les sommes en jeu pèseront lourd sur les capacités de développement de l’outil portuaire français, pourtant indispensable à la bonne insertion de la France dans la mondialisation.
Il appartenait aux communes et EPCI concernés d’en informer clairement les élus de leur assemblée délibérante, ce qui n’a manifestement pas été le cas.
III. Décisions du juge administratif
Dans ces diverses décisions, le Tribunal a d’abord rejeté la fin de non-recevoir opposée par les communes ou EPCI en rappelant que les avocats présents à l’instance, en raison de leur qualité propre, n’ont pas à justifier de l’existence d’un mandat.
Ensuite et surtout, le Tribunal indique qu’aux termes de l’article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales, le défaut d’envoi de ladite note explicative ou son insuffisance entache d’irrégularité les délibérations prises, à moins que le maire n’ait fait parvenir aux membres du conseil municipal, en même temps que la convocation, les documents leur permettant de disposer d’une information adéquate pour exercer utilement leur mandat. Cette obligation, qui doit être adaptée à la nature et à l’importance des affaires, doit permettre aux intéressés d’appréhender le contexte ainsi que de comprendre les motifs de fait et de droit des mesures envisagées et de mesurer les implications de leurs décisions. Elle n’impose pas de joindre à la convocation adressée aux intéressés, à qui il est au demeurant loisible de solliciter des précisions ou explications conformément à l’article L. 2121-13 du même code, une justification détaillée du bien-fondé des propositions qui leur sont soumises.
Le Tribunal a jugé, d’une part, que la note explicative de synthèse adressée aux conseillers municipaux ou communautaires se bornait, pour l’essentiel, à faire état de la lettre de l’article 1382 E du code général des impôts ; que ce même document ne comporte aucune information quant à l’incidence financière de la mesure à adopter ; que s’il ne peut être exigé de l’autorité compétente qu’elle présenta sur ce point un rapport précis et détaillé, il lui appartenait en revanche à tout le moins de porter à la connaissance des membres composant son assemblée délibérante les conclusions d’une analyse, même sommairement menée, quant aux conséquences de la délibération à adopter sur les finances communales ou intercommunales ; que la note dont il s’agit ne peut dès lors, eu égard à l’importance de l’affaire considérée, être regardée comme ayant délivrée une information propre à assurer un éclairage suffisant des membres de l’assemblée délibérante quant aux incidences de leurs votes. En outre, l’information délivrée par l’exécutif local en cours de séance quant au montant des sommes susceptibles d’être portées au crédit du budget communal par adoption de la mesure en cause ne peut, en raison notamment de l’immédiate proximité qu’elle entretient avec les opérations de vote, être regardée comme renseignant utilement les membres de l’assemblée dont il s’agit. Cette insuffisance constitue dès lors un vice affectant le déroulement de la procédure en cause qui, dans les circonstances de l’espèce, a par elle-même privé les conseillers municipaux ou communautaires d’une garantie.
Enfin, le Tribunal apporte au droit des collectivités territoriales et plus précisément à la préparation des assemblées délibérantes les précisions suivantes :
D’une part, la carence procédurale relevée dans une précédente délibération ne saurait être justifiée par le niveau d’expertise dont serait supposément dotés les membres de l’assemblée délibérante ;
D’autre part, l’expertise dont serait supposément dotés les membres de l’assemblée délibérante quant à cette même affaire, ne dispensait pas l’autorité compétente de fournir à ces mêmes membres une information leur permettant une appréhension globale du projet en cause ;
Enfin, de la même manière, la circonstance tirée de ce que la mesure à adopter se traduirait nécessairement par un accroissement des recettes de la commune ne dispensait son exécutif de fournir aux intéressés une information leur permettant une appréhension globale du projet en cause.
Ces décisions du Tribunal administratif de MARSEILLE apportent leurs pierres à l’édifice du droit des collectivités territoriales et davantage de lumière dans la préparation des conseils municipaux et/ou communautaires par les collectivités. Gageons que la sécurité juridique des délibérations s’en trouvera renforcer.