Il est un constat étonnant que la matière du droit administratif général, licence 2, s’apprend au singulier. Ainsi, l’on évoque souvent le « droit administratif », la « Personne publique », « l’Administration », « l’administré », « l’agent », « l’usager du service public » ou encore « le tiers » notamment.
De la même manière, on parlera de « l’intérêt général », dont l’unité intellectuelle ne peut qu’interpeller tant elle semble de façon incontournable à l’opposée de la pratique administrative quotidienne des personnes publiques et personnes privées, chacune ayant en quelque sorte un intérêt général en son cœur à défendre.
L’on citera pour exemple que l’Etat poursuit un intérêt général étatique, celui de la société en son entier, là ou une commune a un double intérêt général, parfois contradictoire, l’intérêt général de l’Etat, étant sur son territoire, et son intérêt général à elle dans le périmètre communal (on évoquera l’intérêt général qui vise à protéger l’environnement et la nature de la commune contre l’intérêt général que peut avoir l’Etat à engager sur ce territoire la construction d’une centrale).
Les personnes privées, les individus personnes physiques, ont un intérêt général à sauvegarder leurs droits fondamentaux constitutionnellement garantis, comme le droit de propriété, face à l’intérêt général d’une personne publique qui peut s’y opposer (l’on citera l’expropriation d’utilité publique, même si la juste et préalable indemnisation de l’individu privé de sa propriété caractérise une compensation pécuniaire, jamais affective).
Si l’on parle de « prérogatives de puissance publique », symboliquement, il suffit d’enlever deux termes pour retrouver encore cette unité de « puissance publique » au singulier alors que la puissance publique s’avère plurielle dans sa manifestation territoriale : par exemple, les Maires, autorités décentralisées de police administrative, les Préfets, autorités déconcentrées de l’Etat.
Le pluriel permet de se rendre compte de la diversité et de la multiplicité de l’action administrative, dont on pourra dire des « actions administratives ». En fait, le sens singulier cristallise un tout quelque peu désincarné pour l’étudiant là ou le pluriel pourrait aider à mieux concevoir la « biodiversité » du phénomène administratif.
La Personne publique concentre les personnes morales de droit public, sans évoquer ses fonctionnaires ou ses agents non statutaires sans quoi elle n’existerait pas. Elle s’appuie encore sur toutes les personnes morales de droit privé investies de missions de service public contrôlées par les personnes morales de droit public.
L’Administration, de la même façon, irrigue des administrations déconcentrées et décentralisées.
L’administré est également pluriel et regroupe les administrés, les personnes physiques et les personnes morales, tout en rappelant d’ailleurs que les agents des administrations au « service du service public » sont aussi au « service de leurs propres intérêts en tant qu’administrés ».
On parle « d’usager » au singulier alors qu’on est en présence d’usagers des services publics. En outre, le tiers est celui qui n’utilise pas un service public, ou encore est tiers par rapport à un dommage de travaux publics. De même, on note le tiers lésé à un contrat administratif. Là encore, on peut mettre un S à ce tiers au regard des nombreuses situations de qualification de ce statut.
Le prisme de la pluralité s’avère être un scanner des actions administratives des administrations, auquel s’établit pour contrôle juridictionnel le « Juge Administratif » constitué de « juges administratifs » et donc « autant d’appréciations que d’interprétations de la légalité, de la conventionnalité et de la constitutionnalité par le biais du traitement de la question prioritaire de constitutionnalité justifiant l’appel et la cassation » et la « Juridiction administrative » composée du Conseil d’Etat, de huit cours administratives d’appel (neuf avec la cour administrative d’appel de Toulouse depuis janvier 2022) et de quarante-deux tribunaux administratifs, sans compter les juridictions spécialisées.
Voir le droit administratif au singulier est oublier son propre environnement de vie administrative. Appréhender le droit administratif au pluriel, c’est mieux saisir les multiples notions qui en constituent la quintessence.
Sans prétendre à l’exhaustivité analytique, linguistique ou juridique du droit administratif, là n’étant pas le but, son apprentissage, dont l’intitulé de la matière pourrait être « droits administratifs », ne peut être intériorisé au mépris d’un regard attentif sur sa pluralité d’existence et de manifestation.
Discussion en cours :
Le singulier permet justement de faire société. Il s’agit précisément pour LE droit administratif de concilier plusieurs intérêts contradictoires en les transcendant pour aboutir à l’intérêt général supérieur et il me semble précisément dangereux, et propice au délitement, que d’employer ces pluriels que vous préconisez. Essayons de dépasser l’objectif purement utilitariste de cet emploi : on peut espérer des étudiants - et avoir pour eux cette ambition - qu’ils saisissent la diversité des enjeux (et acteurs) du droit administratif sans avoir à employer le pluriel.