Les manifestations silencieuses du « plusieurs » en droit administratif.

Par Thomas Martinez, Elève-Avocat.

1166 lectures 1re Parution: 1 commentaire 5  /5

Explorer : # droit administratif # pluralité # intérêt général # actions administratives

Il est courant pour un étudiant en deuxième année qui découvre le droit administratif général de l’étudier au regard de l’unité. Sans s’interroger sur la pluralité qui la domine, le droit administratif étant un environnement des droits administratifs réciproques des administrés et des administrations sous la vigilance de légalité des juges administratifs, l’étude de la matière devient alors plus complexe et désincarnée. Ce court article vise à remettre son S de noblesse aux droits administratifs.

-

Il est un constat étonnant que la matière du droit administratif général, licence 2, s’apprend au singulier. Ainsi, l’on évoque souvent le « droit administratif », la « Personne publique », « l’Administration », « l’administré », « l’agent », « l’usager du service public » ou encore « le tiers » notamment.

De la même manière, on parlera de « l’intérêt général », dont l’unité intellectuelle ne peut qu’interpeller tant elle semble de façon incontournable à l’opposée de la pratique administrative quotidienne des personnes publiques et personnes privées, chacune ayant en quelque sorte un intérêt général en son cœur à défendre.

L’on citera pour exemple que l’Etat poursuit un intérêt général étatique, celui de la société en son entier, là ou une commune a un double intérêt général, parfois contradictoire, l’intérêt général de l’Etat, étant sur son territoire, et son intérêt général à elle dans le périmètre communal (on évoquera l’intérêt général qui vise à protéger l’environnement et la nature de la commune contre l’intérêt général que peut avoir l’Etat à engager sur ce territoire la construction d’une centrale).

Les personnes privées, les individus personnes physiques, ont un intérêt général à sauvegarder leurs droits fondamentaux constitutionnellement garantis, comme le droit de propriété, face à l’intérêt général d’une personne publique qui peut s’y opposer (l’on citera l’expropriation d’utilité publique, même si la juste et préalable indemnisation de l’individu privé de sa propriété caractérise une compensation pécuniaire, jamais affective).

Si l’on parle de « prérogatives de puissance publique », symboliquement, il suffit d’enlever deux termes pour retrouver encore cette unité de « puissance publique » au singulier alors que la puissance publique s’avère plurielle dans sa manifestation territoriale : par exemple, les Maires, autorités décentralisées de police administrative, les Préfets, autorités déconcentrées de l’Etat.

Le pluriel permet de se rendre compte de la diversité et de la multiplicité de l’action administrative, dont on pourra dire des « actions administratives ». En fait, le sens singulier cristallise un tout quelque peu désincarné pour l’étudiant là ou le pluriel pourrait aider à mieux concevoir la « biodiversité » du phénomène administratif.

La Personne publique concentre les personnes morales de droit public, sans évoquer ses fonctionnaires ou ses agents non statutaires sans quoi elle n’existerait pas. Elle s’appuie encore sur toutes les personnes morales de droit privé investies de missions de service public contrôlées par les personnes morales de droit public.

L’Administration, de la même façon, irrigue des administrations déconcentrées et décentralisées.

L’administré est également pluriel et regroupe les administrés, les personnes physiques et les personnes morales, tout en rappelant d’ailleurs que les agents des administrations au « service du service public » sont aussi au « service de leurs propres intérêts en tant qu’administrés ».

On parle « d’usager » au singulier alors qu’on est en présence d’usagers des services publics. En outre, le tiers est celui qui n’utilise pas un service public, ou encore est tiers par rapport à un dommage de travaux publics. De même, on note le tiers lésé à un contrat administratif. Là encore, on peut mettre un S à ce tiers au regard des nombreuses situations de qualification de ce statut.

Le prisme de la pluralité s’avère être un scanner des actions administratives des administrations, auquel s’établit pour contrôle juridictionnel le « Juge Administratif » constitué de « juges administratifs » et donc « autant d’appréciations que d’interprétations de la légalité, de la conventionnalité et de la constitutionnalité par le biais du traitement de la question prioritaire de constitutionnalité justifiant l’appel et la cassation » et la « Juridiction administrative » composée du Conseil d’Etat, de huit cours administratives d’appel (neuf avec la cour administrative d’appel de Toulouse depuis janvier 2022) et de quarante-deux tribunaux administratifs, sans compter les juridictions spécialisées.

Voir le droit administratif au singulier est oublier son propre environnement de vie administrative. Appréhender le droit administratif au pluriel, c’est mieux saisir les multiples notions qui en constituent la quintessence.

Sans prétendre à l’exhaustivité analytique, linguistique ou juridique du droit administratif, là n’étant pas le but, son apprentissage, dont l’intitulé de la matière pourrait être « droits administratifs », ne peut être intériorisé au mépris d’un regard attentif sur sa pluralité d’existence et de manifestation.

Thomas Martinez
Avocat au Barreau de Lyon

Recommandez-vous cet article ?

Donnez une note de 1 à 5 à cet article :
L’avez-vous apprécié ?

5 votes

Cet article est protégé par les droits d'auteur pour toute réutilisation ou diffusion (plus d'infos dans nos mentions légales).

Commenter cet article

Discussion en cours :

  • par HJ , Le 15 mars 2022 à 10:38

    Le singulier permet justement de faire société. Il s’agit précisément pour LE droit administratif de concilier plusieurs intérêts contradictoires en les transcendant pour aboutir à l’intérêt général supérieur et il me semble précisément dangereux, et propice au délitement, que d’employer ces pluriels que vous préconisez. Essayons de dépasser l’objectif purement utilitariste de cet emploi : on peut espérer des étudiants - et avoir pour eux cette ambition - qu’ils saisissent la diversité des enjeux (et acteurs) du droit administratif sans avoir à employer le pluriel.

A lire aussi :

Village de la justice et du Droit

Bienvenue sur le Village de la Justice.

Le 1er site de la communauté du droit: Avocats, juristes, fiscalistes, notaires, commissaires de Justice, magistrats, RH, paralegals, RH, étudiants... y trouvent services, informations, contacts et peuvent échanger et recruter. *

Aujourd'hui: 156 575 membres, 28210 articles, 127 304 messages sur les forums, 2 600 annonces d'emploi et stage... et 1 500 000 visites du site par mois en moyenne. *


FOCUS SUR...

• [Spécial Semaine de la QVCT 2025] Les outils numériques pour le juriste : une charge mentale en plus... ou moins de charge mentale ?

• 1er Guide synthétique des solutions IA pour les avocats.




LES HABITANTS

Membres

PROFESSIONNELS DU DROIT

Solutions

Formateurs