Le préjudice indemnisable en cas de harcèlement moral.

Par Catherine Taurand, Avocat.

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Explorer : # harcèlement moral # préjudice indemnisable # jurisprudence administrative # réparation intégrale

Dans un arrêt du 26 janvier 2017, la cour administrative d’appel de Douai a confirmé de manière particulièrement intéressante qu’en cas de harcèlement moral, c’est l’intégralité des préjudices subis par l’agent harcelé qui doit être indemnisée (CAA Douai 26 janvier 2017, n°15DA00788).

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La jurisprudence administrative est désormais constante s’agissant des modalités d’établissement de la preuve du harcèlement subi par un agent public.

En effet, il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d’agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l’existence d’un tel harcèlement.

Il incombe alors à l’administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement.

La conviction du juge, à qui il revient d’apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu’il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d’instruction utile.

S’agissant du préjudice réparable en matière de harcèlement, la jurisprudence est également constante sur le fait que la nature même des agissements en cause exclut, une fois que l’existence d’un harcèlement moral est établie, qu’il puisse être tenu compte du comportement de l’agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui.

Ainsi, c’est l’intégralité des préjudices occasionnés par la faute commise par l’administration qui doit être réparée (CE, 7 avril 1933, Deberles : Rec. p.439), étant précisé que le Conseil d’Etat admet désormais que l’indemnité droit prendre en compte, non seulement le traitement et ses accessoires, mais également, dès lors que l’intéressé a été privé d’une chance sérieuse de les obtenir, les primes et indemnités autres que celles qui, « eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l’exercice effectif des fonctions » (CE sect., 6 décembre 2013, requête numéro 365155, Commune d’Ajaccio : Dr. adm. 2014, 27, note Eveillard).

Mais la question se pose de comprendre concrètement ce que les juridictions donnent comme réalité au vocable "réparation intégrale" du préjudice subi par l’agent harcelé.

Dans l’affaire qui nous intéresse, le tribunal administratif de Lille, dans son jugement du 24 mars 2015, avait condamné l’ancien maire de la commune de Camiers à raison du harcèlement moral qu’il avait fait subir à son secrétaire général durant tout son mandat (TA Lille 24 mars 2015, n°1301489).

Le requérant était directeur général des services à la Mairie de CAMIERS depuis le 1er janvier 1994. Il n’avait connu, en 32 ans de carrière, que de très bonnes notations ainsi que des relations très sereines et appréciées de l’ensemble des élus avec lesquels il avait travaillé.

Alors que les relations de travail étaient des plus professionnelles et agréables avec les anciens Maires de CAMIERS, peu de temps après l’arrivée de la nouvelle municipalité en mars 2008, l’agent a commencé à subir diverses brimades, injures, moqueries et agressions, qui ont fait l’objet d’une procédure pénale, laquelle s’est soldée par la condamnation du Maire de CAMIERS pour harcèlement moral.

Demandant l’indemnisation des préjudices subis du fait de ce harcèlement à la juridiction administrative, celui-ci a obtenu gain de cause.

Le tribunal avait bien reconnu que ses conditions de travail s’étaient particulièrement dégradées du fait de l’absence de missions effectives, de conditions matérielles et d’un environnement de travail manifestement destinés à lui nuire et non conforme à ce qu’un agent d’une collectivité se doit d’attendre de son employeur.

Il était établi que le maire de la commune avait fait preuve d’animosité à l’égard du requérant et avait même l’intention, avant que le nouveau directeur général des services ne s’y oppose, de l’installer dans un local à archives dépourvu d’éclairage naturel, de chauffage et de téléphone.

En outre, l’absence de définition précise du poste de chargé de mission de l’agent en faisait une « coquille vide » et le maire de la commune de Camiers avait fait preuve d’inertie manifeste dans l’octroi de la protection fonctionnelle et le traitement de la demande de l’agent tendant à la reconnaissance de sa maladie comme maladie imputable au service, pour laquelle une procédure devant le tribunal administratif avait été nécessaire.

Constatant que « ces faits ne relèvent pas d’une relation normale entre une autorité administrative et un agent public placé sous sa responsabilité ; qu’ils révèlent une volonté de nuire à cet agent  », le tribunal administratif avait retenu la qualification de harcèlement moral et indemnisé l’agent de ce chef à hauteur du seul préjudice moral à l’exclusion notamment de la réparation du préjudice subi du fait de la perte d’’indemnité d’exercice des missions de préfecture (IEMP) et d’indemnité forfaitaire pour travaux supplémentaires (IFTS) dont l’agent avait été privé du fait de son placement en maladie contractée du fait du harcèlement subi en service.

Ce refus d’indemnisation était fondé sur le fait que l’attribution de ces indemnités est subordonnée à la circonstance que l’agent qui en demande le bénéfice ait effectivement exercé ses fonctions ou les missions qui lui incombent pendant la période au cours de laquelle ces indemnités sont sollicitées.

Cette position ne tenait absolument pas, dans la mesure où l’agent ne demandait pas le versement de ces indemnités mais la réparation du préjudice causé par l’absence de perception de ces indemnités du fait du harcèlement subi.

La cour administrative d’appel de Douai a parfaitement compris le raisonnement et a ainsi remédié au manquement du tribunal en rappelant que :
• Certes, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu’ils sont constitutifs d’un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l’agent auquel il est reproché d’avoir exercé de tels agissements et de l’agent qui estime avoir été victime d’un harcèlement moral ;
• Mais qu’en revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l’existence d’un harcèlement moral est établie, qu’il puisse être tenu compte du comportement de l’agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui et qu’en conséquence, le préjudice résultant de ces agissements pour l’agent victime doit alors être intégralement réparé.

En l’espèce, la Cour a constaté que les faits de harcèlement dont a été victime le requérant ont provoqué un syndrome dépressif réactionnel induisant son placement en congés maladie.

Elle en a déduit que « la diminution, puis la suppression de la perception de l’IFTS et de l’IEMP à raison desdits congés et de son absence corrélative du service, sont par suite en lien direct avec le harcèlement moral qu’il a subi  » et a condamné la commune à indemniser également ce préjudice.

Catherine Taurand
Avocat à la Cour

cabinet chez taurand-avocats.fr
https://taurand-avocats.fr/

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