Sur ce dernier point, il convient de préciser que sont créateurs de droits, les actes administratifs individuels qui donnent à leurs bénéficiaires un droit acquis à leurs maintiens sans qu’il y ait la possibilité pour l’administration, en principe, de les remettre en cause.
Les décisions individuelles dont le bénéfice est soumis à certaines conditions sont créatrices de droits dès lors que ces conditions sont remplies mais perdent cette qualité dans le cas contraire (par exemple, une autorisation d’exploiter un débit de boissons constitue une décision créatrice de droits dont son bénéficiaire peut se prévaloir tant qu’il respecte les règles établies par le Code des débits de boissons).
D’autres actes ne sont jamais créateurs de droits dès lors que les destinataires de ces décisions n’ont aucun droit acquis à leur maintien. Cette catégorie d’actes administratifs concerne en premier lieu les actes règlementaires et les décisions d’espèce.
Les actes règlementaires sont des normes générales aux effets impersonnels ou qui ont pour objet l’organisation même d’un service public. Ils se distinguent des décisions d’espèce, qui peuvent être définies comme des normes particulières (en ce qu’elles se rapportent à une situation ou à une opération déterminée) aux effets impersonnels, tandis que les actes administratifs individuels sont des normes particulières aux effets personnels.
Les règles relatives à l’abrogation et au retrait des actes administratifs, jusque là largement définies par la jurisprudence, ont fait l’objet d’une codification avec l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2016, du Code des relations entre le public et l’administration (CRPA). Les dispositions de ce code relatives à l’abrogation sont pleinement applicables, pour l’ensemble des actes administratifs, depuis le 1er juin 2016. Les dispositions relatives au retrait ne s’appliquent toutefois qu’aux actes administratifs édictés depuis le 1er juin 2016.
La présente publication vise à fixer les règles relatives au retrait des actes administratifs réglementaires qu’ils soient légaux (A) ou illégaux (B).
Étant précisé que l’ensemble de ces règles sont valables sous réserve des exigences découlant du droit de l’Union européenne et de dispositions législatives et réglementaires spéciales (article L. 241-1 du CRPA). En outre, tout acte administratif unilatéral, peu importe sa nature, peut être abrogé ou retiré à tout moment lorsqu’il a été obtenu par fraude (article L. 241-2 du CRPA).
A) Le retrait des actes règlementaires légaux.
En principe, l’administration ne dispose pas de la faculté de procéder au retrait d’un acte administratif réglementaire légal en vertu du principe de non rétroactivité des règlements.
[1]
Cette interdiction vise à garantir, à l’égard des administrés, le respect du principe de sécurité juridique érigé en principe général du droit par le Conseil d’État [2], sous l’influence de la jurisprudence traditionnelle de la Cour de justice de l’Union européenne. [3]
Ce principe souffrait, jusque récemment, d’une atténuation. En effet, le Conseil d’État autorisait l’administration à retirer un acte réglementaire légal devenu définitif si ce dernier n’avait reçu aucun commencement d’exécution et n’avait pu, dès lors, conférer de droits susceptibles d’être acquis par ses destinataires. [4]
Toutefois, le CRPA semble avoir simplifié l’état du droit, puisque son article L. 243-3 interdit aujourd’hui formellement le retrait d’un acte réglementaire légal. Tout au plus l’article L. 243-4 du même code permet-il le retrait, sans condition de délai, de toute mesure administrative à caractère de sanction.
Cependant, les règles du CRPA relatives au retrait n’étant applicables qu’aux actes administratifs édictés depuis le 1er juin 2016, l’exception prétorienne permettant à l’administration de retirer un acte réglementaire légal n’ayant reçu aucun commencement d’exécution n’est pas encore définitivement écartée.
Si le retrait d’un acte réglementaire légal semble aujourd’hui impossible pour les actes postérieurs au 31 mai 2016, le CRPA n’est pas revenu sur la jurisprudence du Conseil d’État autorisant l’administration à édicter des actes réglementaires aux effets rétroactifs.
La plus haute juridiction administrative ouvre en effet cette possibilité pour permettre à l’administration de répondre aux exigences expresses ou implicites du législateur [5] ou pour combler un vide juridique (consécutif ou non à une annulation juridictionnelle) dont l’existence est incompatible avec les prescriptions législatives ou avec le maintien de l’ordre public. [6]
B) Le retrait des actes réglementaires illégaux.
La jurisprudence antérieure à l’entrée en vigueur du CRPA permettait à l’administration de retirer un acte réglementaire illégal devenu définitif et n’ayant reçu aucun commencement d’exécution. [7]
Le Conseil d’État autorisait également le retrait d’un acte réglementaire illégal ayant reçu application lorsque la demande de retrait était formulée dans le délai de recours contentieux ouvert contre cet acte. Pour les demandes formulées au-delà de ce délai, l’administration était seulement tenue de procéder à l’abrogation de l’acte réglementaire illégal. [8]
Toutefois, le CRPA semble avoir simplifié l’état du droit, puisque son article L. 243-3 ne permet à l’administration de retirer un acte réglementaire illégal que dans le délai de quatre mois qui suit son édiction. Ce nouveau délai semble s’aligner sur la jurisprudence traditionnelle relative au retrait des décisions explicites individuelles illégales créatrices de droits. [9]
Par exception, l’article L. 243-4 du même code autorise néanmoins le retrait de toute mesure administrative à caractère de sanction sans condition de délai.
Encore faut-il préciser que, les règles du CRPA relatives au retrait n’étant applicables qu’aux actes administratifs édictés depuis le 1er juin 2016, les règles prétoriennes susmentionnées relatives au retrait des actes réglementaires illégaux ne semblent pas encore devoir être définitivement écartées.
Discussion en cours :
La question de la succession des lois dans le temps n’est ici pas pertinente pour interpréter l’éventuel droit de l’administration a retirer un acte réglementaire n’ayant connu aucun début d’exécution, selon la date d’entrée en vigueur du CRPA.
Il suffit de rappeler que la codification du CRPA est réputée avoir été effectuée à droit constant - En d’autres termes, aucune disposition codifiée ne peut être lue comme revenant sur la jurisprudence administrative antérieurement en vigueur.
L’exception prétorienne autorisant le retrait en l’absence de début d’exécution reste donc toujours en vigueur.