L’indemnisation de l’accident médical et le dualisme juridictionnel.

Par Sophie Kerzerho, Avocate.

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Explorer : # responsabilité médicale # dualisme juridictionnel # indemnisation # procédure amiable

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Le dualisme juridictionnel en responsabilité médicale en France sépare les recours selon que l'établissement est public ou privé. Le Tribunal des conflits a récemment facilité l'indemnisation des victimes d'accidents médicaux complexes, en permettant de choisir la juridiction selon l'origine du dommage, malgré des inégalités subsistant.
Description rédigée par l'IA du Village

Les patients victimes d’un accident médical sont souvent pris en charge dans le secteur privé et le secteur public. Or, la compétence juridictionnelle dépend classiquement de la qualité de la personnalité juridique responsable (personne de droit public ou de droit privé) et en application de l’article L1142-20 du Code de la santé publique pour les actions contre l’ONIAM (Office National d’Indemnisation des Accidents Médicaux), de la nature du fait générateur.

Le dualisme juridictionnel (administratif et judiciaire) complique les procédures indemnitaires.

Le Tribunal des Conflits a récemment été saisi de cette question. Sa solution est pragmatique et mérite d’être interrogée.

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Le principe général du dualisme juridictionnel en responsabilité médicale.

En droit français, du dualisme juridictionnel implique que les actions indemnitaires doivent être engagées devant les juridictions administratives lorsque la responsabilité d’un établissement public est engagée et devant les juridictions judiciaires dès lors que le professionnel de santé exerce à titre libéral ou qu’un établissement de soins privé est en cause.

Ainsi, par principe, les deux ordres de juridictions sont étanches. Le Juge judiciaire est incompétent pour statuer sur la responsabilité d’un hôpital public, et le juge administratif ne peut pas condamner un médecin libéral ou une clinique.

L’assouplissement au stade de la demande d’expertise.

En matière de responsabilité médicale, la première étape de la procédure consiste traditionnellement à solliciter la désignation d’un Médecin Expert ou d’un Collège d’Experts afin que la Lumière soit faite sur la conformité de la prise en charge aux règles de l’Art et données acquises de la science et que les préjudices imputables à l’accident médical soient évalués.

Le dualisme juridictionnel serait un frein à l’organisation de cette expertise. Ainsi, dans une décision du 7 juillet 2014 (C3951), le Tribunal des conflits a jugé que "lorsqu’une demande ne tend qu’à voir ordonner une mesure d’instruction et que le litige est susceptible de relever, fût-ce pour partie, de l’ordre de juridiction devant lequel cette demande a été présentée, le juge des référés se trouve valablement saisi de celle-ci."

Ainsi, le demandeur peut saisir l’une quelconque des juridictions en cas de prise en charge mixte secteur privé/public.

La procédure amiable devant la Commission de conciliation et d’indemnisation (CCI.)

La Loi Kouchner du 4 mars 2002 a d’une part ouvert le droit à indemnisation dans certaines conditions de l’aléa thérapeutique par l’ONIAM et d’autre part mis en œuvre une procédure amiable d’indemnisation des accidents médicaux et infections nosocomiales.

Les règles applicables à la responsabilité médicale ont été codifiées aux articles L1142-1 et suivants du Code de la santé publique, uniformisant le Droit public et le Droit privé en cette matière.

Dans le cadre de cette procédure CCI, le dualisme juridictionnel est effacé. La commission rend un avis qu’importe la qualité des défendeurs, personnes publiques ou privées.

Cependant, cette juridiction ne rend pas de décision mais seulement un avis, ouvrant une procédure d’offre. A l’issue, en l’absence d’offre ou d’acceptation de cette offre, le tribunal peut être saisi.

C’est alors que le dualisme juridictionnel entre à nouveau en jeu.

L’article L1142-20 prévoit d’ailleurs que l’action indemnitaire engagée contre l’ONIAM "est intentée devant la juridiction compétente selon la nature du fait générateur du dommage".

Ce qui détermine la compétence de l’ordre de juridiction est donc la nature de l’acte de diagnostic, de prévention ou de soin en lien avec le dommage, peu importe que l’ONIAM soit un établissement public.

Tribunal des conflits 2 décembre 2024 n°4323 : l’assouplissement du dualisme juridictionnel.

Le Tribunal des conflits a été saisi d’une question de compétence dans une affaire dans laquelle la patiente avait initialement été prise en charge dans une clinique privée, puis en établissement de soins public. L’ONIAM était, semble-t-il, tenu à l’indemnisation des conséquences dommageables des deux prises en charge.

A l’issue d’une procédure CCI infructueuse, l’offre émise par l’ONIAM n’ayant pas été acceptée, la victime a saisi la juridiction administrative pour obtenir l’indemnisation de son entier dommage.

Le Tribunal des conflits rend une décision étonnante [1] :

"Lorsque les préjudices constatés sont le fruit de faits générateurs successifs et d’une nature distincte, mais que la commission a été saisie d’une demande globale portant sur l’ensemble des accidents médicaux et aléas thérapeutiques impliqués, résultant d’actes réalisés aussi bien dans le cadre du service public hospitalier que par un médecin exerçant à titre libéral ou dans un établissement de santé privé, sur laquelle l’ONIAM s’est prononcé, la victime peut, en l’absence d’offre d’indemnisation subséquente ou si elle n’a pas accepté celle qui lui a été faite, rechercher la réparation de l’entier dommage devant le juge administratif ou le juge judiciaire. Le juge saisi suivant le choix de la victime ou de ses ayants droit statue alors sur l’entier dommage".

Il y a lieu de se réjouir d’une telle décision qui simplifiera les procédures indemnitaires à engager par les victimes d’accidents médicaux complexes, impliquant des professionnels et établissements de soins publics et privés.

Il n’y a aucun motif légitime pour qu’en dehors des procédures initiées devant les CCI la solution soit différente.

En effet, depuis l’avènement de la Loi Kouchner, la compétence juridictionnelle, même hors procédure CCI est déterminée en fonction de la nature du fait générateur.

La victime n’est pas tenue d’engager une procédure amiable pour rechercher son indemnisation par l’ONIAM. La décision devrait donc vraisemblablement être élargie.

Conclusion.

Le Tribunal des Conflits, par sa jurisprudence, atténue les obstacles à la procédure indemnitaire liés au dualisme juridictionnel.

Reste que persiste une inégalité de traitement des victimes d’accidents médicaux, selon qu’elles ont été prises en charge dans le secteur privé ou public. En effet, les juridictions administratives allouent des indemnités qui demeurent inférieures à celles allouées par le Juge judiciaire, ce qui ne paraît pas acceptable.

Sophie Kerzerho, Avocate au Barreau de Paris
Spécialiste en droit du dommage corporel
DIU en évaluation du traumatisme crânien
https://sophiekerzerho-avocat.fr/

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Discussion en cours :

  • par Roland LEMAIRE, avocat , Le 14 février à 09:16

    Vous n’avez pas envisagé le cas d’une victime d’un accident de la circulation avec prise en charge défectueuse de l’hôpital qui a aggravé son état initial, avec et/ou sans rapport avec l’accident, mettant en cause les fautes du praticien et suivie d’une infection nosocomiale. A mon sens, la réparation de tous ces préjudices peuvent relever du seul juge judiciaire, dans le cadre de la loi de 85 et donc sans recherche de faute et de l’avis de l’ONIAM.

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