La rupture conventionnelle homologuée : les raisons d'un succès. Par Bérengère Vaillau, Avocat

La rupture conventionnelle homologuée : les raisons d’un succès.

Par Bérengère Vaillau, Avocat

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Explorer : # rupture conventionnelle # indemnité de rupture # procédure de rupture # contentieux du travail

Si, traditionnellement, le contrat de travail est rompu de façon unilatérale, soit par l’Employeur (c’est alors un licenciement) soit par le Salarié (c’est alors une démission), il arrive que l’un et l’autre soient d’accord pour interrompre leur relation professionnelle.

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La loi n° 2008 – 596 du 25 juin 2008 (JO 26 pages 10224) de modernisation du marché du travail a encadré ce mode de rupture du contrat de travail à durée indéterminée en créant la rupture conventionnelle homologuée.

La rupture conventionnelle, rappelons-le, résulte d’une convention signée par l’Employeur et le Salarié qui doit faire l’objet d’une homologation de la part du Directeur Départemental du Travail, de la Formation et de l’Emploi (ou d’une autorisation de l’inspection du travail pour les Salariés protégés en vertu des articles L.2411–1 et L.2411–2 du Code du Travail).

La convention de rupture définit les conditions de celle-ci, notamment le montant de l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle et fixe la date de rupture du contrat de travail, qui ne peut intervenir avant le lendemain du jour de l’homologation.

Deux raisons au moins militaient en faveur de l’insertion dans le Droit du Travail d’un dispositif de départ négocié.

La première raison était tout d’abord de pacifier les rapports sociaux.

Du reste, maints pays européens avant la France, avaient inscrit la rupture conventionnelle dans leur législation ; étant observé que dans ces pays-là, les recours relatifs à la rupture du contrat de travail devant les juridictions sont bien moins élevés qu’en France.

Il s’agissait ensuite de sécuriser les rapports juridiques Employeurs / Salariés.

A cet égard, il sera rappelé que de manière générale, un Salarié dispose d’un délai de trente ans pour attaquer son licenciement et cinq ans pour réclamer les salaires.

Si les avis sont partagés sur ce nouveau mécanisme dans les relations de travail – l’on peut en effet y voir un moyen de contourner le droit du licenciement - , il faut néanmoins admettre que lorsque chacun a la volonté ferme de « divorcer », il s’agit d’un dispositif « gagnant-gagnant ».

Que ce soit l’Employeur ou le Salarié qui en prenne l’initiative, l’on peut considérer que chacun trouve dans ce mode de rupture, son avantage, ce qui, assurément est l’une des clés du succès de la rupture conventionnelle homologuée (350 000 ruptures conventionnelles ont été homologuées depuis l’origine avec une moyenne de plus de 20 000 par mois depuis le début 2010).

En effet, pour le Salarié, l’avantage est d’avoir la garantie de percevoir l’indemnité spécifique de rupture et le cas échéant, les prestations de l’assurance chômage alors que s’il démissionnait, il n’aurait droit à aucune indemnité de rupture et, sauf cas limitativement énoncés par la loi, ne pourrait prétendre à l’allocation chômage.

Il s’agit là de données qui, le moment venu, confortent assurément le Salarié dans sa décision de quitter l’entreprise.

De son coté, l’Employeur a également ses raisons d’être attiré par ce mode de rupture puisqu’il interviendra dans un cadre juridique sécurisé alors, par ailleurs, que sa mise en œuvre est relativement simple et rapide.

N’oublions pas en outre que dans ce mode de rupture, aucun préavis n’est prévu, terme réservé au licenciement et à la démission.

Analysons donc les raisons de ce succès :

1- L’indemnisation :

L’article L 1237-13 du Code du Travail énonce que la convention de rupture définit les conditions de celle-ci, notamment le montant de l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle qui ne peut être inférieur à celui de l’indemnité prévue à l’article L 1234-9.

En pratique, l’indemnisation allant rarement au-delà du minimum prévu par le Code du Travail, c’est donc une indemnité spécifique de rupture, dont le montant correspondait à celui de l’indemnité légale de licenciement qui était prévue dans les conventions de rupture.

Une question d’interprétation s’est cependant très rapidement posée.

A la suite d’une question parlementaire posée par le Député Etienne BLANC sur le nouveau dispositif de rupture conventionnelle du contrat de travail, le Ministre du Travail a d’ailleurs pris position sur cette divergence d’interprétation de la loi portant sur le montant minimal de l’indemnité spécifique de rupture.

En effet, comme indiqué précédemment, selon l’article L 1237-13 du Code du Travail, le montant minimal de l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle du contrat de travail ne peut être inférieur à l’indemnité légale de licenciement.

Or, ce seuil retenu s’avérait inférieur à celui retenu par l’article 12 de l’ANI du 11 janvier 2008, tel qu’interprété par les signataires du procès-verbal, lesquels fixent ce seuil au montant de l’indemnité conventionnelle de licenciement.

La difficulté tenait au fait que certaines DDTEFP allaient jusqu’à refuser l’homologation d’une convention de rupture du contrat de travail en présence du versement d’une indemnité spécifique inférieure à l’indemnité conventionnelle de licenciement.

Sur cette question, le Ministre a répondu tout d’abord que si les parties à la rupture souhaitent négocier entre elles un montant supérieur, rien ne les en empêche.

Par ailleurs, il a rappelé que les partenaires sociaux ont conclu le 18 mai 2009 un avenant n°4 à l’ANI précité en intégrant à l’article 12 une référence explicite à l’indemnité conventionnelle de licenciement comme seuil minimal, sans remettre en cause les sommes versées jusqu’alors.

C’est dans ce contexte que l’avenant n°4 du 18 mai 2009 à l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail a été étendu par arrêté du 26 novembre 2009.

Ainsi, les Salariés concluant avec leurs Employeurs un accord de rupture conventionnelle homologuée doivent percevoir une indemnité au moins égale à l’indemnité légale de licenciement ou à l’indemnité conventionnelle de licenciement si elle est supérieure (Avenant article 2).

Ces dispositions étaient applicables depuis le 19 mai 2009 dans les entreprises affiliées à l’une des organisations patronales signataires de l’avenant (MEDEF, CGPME et UPA).

Elles s’imposent depuis le 27 novembre 2009 à tous les Employeurs des branches d’activité représentées par ces organisations.

Par conséquent, toute convention de rupture conclue à compter de cette date doit prévoir le versement d’une indemnité de rupture spécifique au moins égale à l’indemnité conventionnelle de licenciement, si elle est plus favorable que l’indemnité légale.

Seuls les Employeurs des branches d’activité non représentés par le MEDEF, la CGPME ou l’UPA – agriculture, professions libérales, presse, secteur associatif notamment – continuent à échapper à cette obligation.

Celle-ci ne leur deviendra applicable que si l’ANI et son avenant font l’objet d’un arrêté d’élargissement.

2- La procédure :

Dans le cadre de la rupture conventionnelle homologuée, trois conditions principales s’imposent aux parties :

-  Le consentement des parties doit être libre, qu’il s’agisse du principe de la rupture ou de ses conditions ;

-  Les parties doivent respecter les règles de fond et de forme fixées par la loi (assistance des parties, délais, indemnité spécifique de rupture…) ;

-  La convention de rupture signée par les parties doit être homologuée par le Directeur Départemental du Travail, de l’Emploi et de la Formation Professionnelle.

Dès lors, la signature de la convention de rupture doit être précédée d’une procédure de concertation permettant de s’assurer que le consentement des parties a été libre et éclairé.

Ainsi, l’article L1237-12 énonce que les parties au contrat conviennent du principe d’une rupture conventionnelle lors d’un ou plusieurs entretiens au cours duquel le Salarié peut se faire assister :

-  Soit par une personne de son choix appartenant au personnel de l’entreprise, qu’il s’agisse d’un Salarié titulaire d’un mandat syndical ou d’un Salarié membre d’une institution représentative du personnel ou tout autre Salarié ;

-  Soit, en l’absence d’institution représentative du personnel dans l’entreprise, par un conseiller du Salarié choisi sur une liste dressée par l’autorité administrative.

Lors du ou des entretiens, l’Employeur a la faculté de se faire assister quand le Salarié en fait lui-même usage.

Le Salarié en informe l’Employeur auparavant ; si l’Employeur souhaite également se faire assister, il en informe à son tour le Salarié.

Ceci étant, si l’article L1237-13 du Code du Travail définit le contenu de la convention, il n’en définit cependant pas sa forme.

Un arrêté édictant un formulaire de demande d’homologation a été publié (arrêté du 18 juillet 2008 JO 19 page 11593).

Notons qu’il faut impérativement utiliser le formulaire officiel sous peine de se voir refuser l’homologation.

En outre, la partie 3 du formulaire qui contient la convention de rupture se suffit à elle-même : aucun document complémentaire n’est en effet obligatoire pour la validité de la demande.

Ces deux précisions ont été apportées par la circulaire DGT 2009-5 du 17 mars 2009.

Même si aucun document complémentaire n’est obligatoire pour la validité de la demande, il nous parait, en tant que praticiens, essentiel d’établir une convention de rupture qui sera régularisée par les parties et jointe au formulaire de demande d’homologation.

Ainsi, toutes les conséquences de la rupture du contrat de travail pourront à cette occasion être envisagées et ce, dans un objectif de sécurisation des rapports juridiques Salarié / Employeur (droit au DIF, sort de la clause de non concurrence s’il y en a …)

Une fois la convention signée, la procédure à suivre est la suivante :

- A compter de la date de sa signature par l’Employeur et par le Salarié, chacun dispose d’un délai de 15 jours calendaires pour exercer son droit de rétractation (article 1237-13 alinéa 3 du Code du Travail).

La notion de jour calendaire implique que chaque jour de la semaine est comptabilisé.

Le délai démarre au lendemain de la date de signature de la convention de rupture et se termine au 15e jour à 24 h 00 (circulaire DGT 2008-11 du 22 juillet 2008).

Lorsque ce délai expire un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé, il est prorogé jusqu’au 1er jour ouvrable suivant (circulaire DGT 2009-5 du 17 mars 2009).

Ne pas respecter ces règles équivaut à ne pas respecter le délai de rétractation et rend la rupture irrégulière.

- A l’issue du délai de rétractation, la partie la plus diligente adresse une demande d’homologation à l’autorité administrative avec un exemplaire de la convention de rupture (article L.1237-14 alinéa 1 du Code du Travail).

C’est plus précisément à partir du lendemain de la fin du délai de rétractation que la demande d’homologation peut être adressée à l’administration par la partie la plus diligente (circulaire DGT 2008-11 du 22 juillet 2008).

En cas d’envoi postal, que ce soit l’Employeur ou le Salarié concerné qui s’en charge, il est fortement conseillé d’utiliser la lettre recommandée avec avis de réception, qui est le moyen le plus efficace pour en apporter la preuve.

Une remise directe à l’administration compétente contre récépissé est également possible.

Notons que :

-  L’autorité administrative compétente pour l’homologation de la convention de rupture est le Directeur Départemental du Travail, de l’Emploi et de la Formation Professionnelle du lieu où est établi l’Employeur (article R.1237-3 du Code du Travail).

-  Le service territorialement compétent pour instruire la demande d’homologation est celui dont relève l’établissement où est employé le Salarié (circulaire DGT 2008-11 du 22 juillet 2008), à moins que l’intéressé ne dépende directement de siège social.

Il y a lieu de préciser que depuis le 1er juillet 2010, les Directions Départementales et Régionales du Travail, de l’Emploi et de la Formation Professionnelle (DDTEFP et DRTEFP) sont remplacées par les Directions Régionales des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l’Emploi (DIRECCTE), excepté dans les régions d’outre-mer.

Chacune de ces directions comprend des unités territoriales (pas nécessairement départementale).

- L’autorité administrative dispose alors d’un délai de 15 jours ouvrables pour instruire la demande d’homologation.

Le délai d’instruction commence à courir le lendemain du jour ouvrable de réception de la demande d’homologation par l’administration.

Sont réputés jours ouvrables tous les jours de la semaine, à l’exclusion du dimanche et du 1er mai.

Les jours fériés autres que le 1er mai perdent également leur caractère de jour ouvrable lorsqu’ils sont habituellement chômés dans l’entreprise ou la branche.

Ce délai expire au dernier jour ouvrable d’instruction, à 24 h 00.

Au-delà, l’homologation est réputée acquise (circulaire DGT 2008-11 du 22 juillet 2008).

Lorsque ce délai expire un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé, il est prorogé jusqu’au premier jour ouvrable suivant (circulaire DGT 2009-5 du 17 mars 2009).

En pratique, près de 6 semaines sont nécessaires pour finaliser la rupture.

Ce sont effectivement les délais constatés entre l’engagement de la procédure et la prise d’effet de la rupture.

Notons que s’agissant des Salariés protégés au sens du droit du licenciement, la procédure peut être plus longue et plus contraignante dans la mesure où l’administration du travail doit autoriser la rupture du contrat de travail.

3- Le contentieux

Un éventuel recours juridictionnel doit, pour être recevable, être formé avant l’expiration d’un délai de 12 mois à compter de la date d’homologation de la convention.

Par ailleurs, un contentieux est toujours possible dans les conditions de droit commun si le Salarié entend remettre en cause des questions autres que cette rupture (harcèlement, discrimination, travail dissimulé, rémunération…).

De manière générale, on observe en réalité très peu de situations contentieuses après qu’une convention de rupture ait été homologuée.

Concrètement, dès lors que la convention aura été homologuée, l’une ou l’autre des parties qui souhaiterait la contester devrait établir qu’il y a eu, pour ce qui la concerne, vice du consentement.

Autant dire que si la volonté de remettre en cause la rupture venait à naître chez l’une ou l’autre des parties, il serait particulièrement difficile de démontrer que son consentement a été vicié par un dol, c’est-à-dire une manœuvre de l’autre partie ou, par une erreur.

L’on peut, à ce titre, prendre pour hypothèse, celle d’un Salarié qui obtient de son Employeur une rupture conventionnelle alors qu’il était à l’origine d’un fait fautif qui ne se révélera que plus tard à l’Employeur et qui aurait été susceptible de conduire à son licenciement pour faute grave ou pour faute lourde.

Ce genre de situation est rarissime ce qui explique le peu de recours en contestation de validité d’une rupture conventionnelle.

On peut imaginer par ailleurs que les employeurs ne se hasarderont pas à une telle contestation qui aurait pour effet, en cas de succès, de faire réapparaître le salarié dans l’effectif de l’entreprise.

La procédure de rupture conventionnelle tient pour l’instant toutes ses promesses et risque de continuer ainsi, sauf à ce que quelques juristes affûtés imaginent de nouveaux moyens de contestation pour leurs clients salariés.

Bérengère Vaillau,

Avocat

contact chez cabinetdgk.com

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